Mystère de l'Église, mystère d’Israël (III)

De Ebior
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D'après un matériau initialement élaboré par l'Abbé Louis Derousseaux, professeur émérite de théologie de l'Université catholique de Lille, texte revu, refondu et mis à jour par Menahem Macina.

© L. Derousseaux et M. Macina

Fondements théologiques : Rm 9 - 11

Histoire d’une rupture

Nous avions laissé dans l'ombre les faits des origines, souvent interprétés à la lumière des ruptures instaurées plus tard, comme si Jésus avait voulu fonder une religion nouvelle, et être "le fondateur du christianisme". Même Jean ne présente pas les Juifs comme pensant ainsi (cf. déclaration prophétique de Caïphe en Jn 11,52). Mais Jésus aurait-il voulu réformer le judaïsme, comme Mahomet voudra le faire? Certes non.

Faut-il attribuer cette attitude à Paul? On le fait souvent, y compris dans le judaïsme, mais cela paraît incompatible avec les affirmations de Rm 11.

a) La cohabitation aux origines.

1) Jésus se montre un fidèle observant du judaïsme et il se range dans la mouvance pharisienne (foi en la résurrection, etc., usage de l'Écriture). Certes il met en question certaines observances pharisiennes de pureté (Mc 7, 1 ss et par.) mais, même dans les controverses (Mt 23), sans doute écho d'une situation ultérieure, il respecte leur autorité. Les pharisiens n'apparaissent pas dans le récit de la passion. Il est ouvert depuis la Shoah et Vatican II : c'est pour le chrétien une question d'identité. Mais rien de décisif n’est encore acquis. Paul écrit avant la rédaction des Synoptiques (surtout Mt) et de Jean, qui sont inspirés par la polémique juive contre la "Minut" (c'est-à-dire l'exclusion des "apostats" hors du judaïsme). Dans 1 Th 2,14 ss, il est amer et concret, allant jusqu'à reprendre les lieux communs païens! L'Épître aux Galates ne vise pas les Juifs mais les judéo-chrétiens hellénistes (cf. M. Hubaut, Catholicisme, fasc. 47 (t. 10, 1985), "Paul" col. 881 ss). Ce sera le dernier mot de Paul (si l'on suppose que Ep 2,15 ss relié à Paul de façon moins étroite et qu'il ne traite que de la réconciliation déjà opérée dans l'Église entre les deux peuples qui croient au Christ). C'est seulement en Romains que Paul traite de la question théologique de la coexistence des deux communautés : Pour mémoire: Nous essayons de nous en tenir au consensus des exégètes. Mais certaines positions sont nettement théologiques : la thèse de Refoulé, qui est un échafaudage d’hypothèses, ne se comprend que par la volonté (inconsciente) de justifier à tout prix la théorie patristique de la substitution. Il vaut mieux partir du plus clair pour expliquer l’obscur, et non nier l’évidence pour sauver une thèse que l’on croit liée à la foi.

Il reste que Jésus a revendiqué d'incarner la Torah (Mt 11, 25 ss), mais on ne peut démontrer qu'il ait voulu détruire ou réformer le judaïsme. Pour Lui, de son vivant, seule la synagogue existe : c'est bien après que l'on pense à la mission. Continuité et rupture à la fois.

2) Les Actes des Apôtres témoignent de ce que l'on peut être juif et chrétien en même temps sans difficulté, car la rupture n'est pas encore faite : les membres de la secte de Jésus vont au temple, font les prières...

3) Du côté juif on n'a guère d'attestations dans le Talmud –qui parle très rarement de Jésus.(il lui fait dire quand même : "Quiconque touche à Israël touche à la prunelle de Dieu") et le tient surtout pour un magicien. Mais Ac 5,34-42 évoque les hésitations juives, avec l'intervention (très vraisemblable) de Gamaliel : ce mouvement peut venir de Dieu.

4) Mesures pour la coexistence entre judéo-chrétiens et païens

 Le Concile de Jérusalem (Ac 15) officialise la possibilité de devenir chrétien sans passer par le judaïsme, dit-on ordinairement. Mais on ne remarque pas souvent que la législation prévue pour l'accueil des païens (Ac 15,29) est exactement celle que les pharisiens prévoyaient pour les païens qui acceptaient le statut de "craignant-Dieu", c'est-à-dire la législation noachique. Le goy non prosélyte, reçu dans le judaïsme, n'est pas juif; il ne l'est pas plus en devenant chrétien...

b) La séparation.

À Antioche (Ac 11,26) il s'est quand même passé quelque chose d'important, même si on doit interpréter le concile de Jérusalem avec prudence : le païen devient immédiatement chrétien.

Après la destruction de Jérusalem. La fixation du canon juif des Écritures au synode de Yabné à la fin du Ier s. va de pair avec la prise de conscience chrétienne de "son" Écriture propre : Mt 5-7 répondrait aussi aux premières tentatives de récollection de la Mishnah. Dans la prière juive désormais la "bénédiction" (l2e) des Minim interdit pratiquement aux chrétiens de prier avec des Juifs. Alors de très vives querelles opposent les tenants d’une Torah fermée sur elle-même et les tenants d’une révélation encore ouverte aux interventions de Dieu : l’excommunication dramatique d’Eliézer ben Hyrkanos marque la victoire des premiers et rend impossible du même coup la légitimité chrétienne.

[André Paul a raison de souligner que le judaïsme prend alors une nouvelle figure et une nouvelle structure; mais il a tort de croire que les deux courants ("protojudaïsme" et "protochristianisme") existaient séparés avant même Jésus.]

Chaque communauté se retranche désormais dans son identité, même si dans la crise gnostique qui provoque la constitution du canon chrétien (AT et NT), l'Église conserve l'AT comme Parole de Dieu, malgré Marcion.

 La foi chrétienne va s'exprimer désormais dans la culture grecque et les deux communautés vont s'ignorer : le "pagano-chrétien" a oublié le judaïsme comme sa racine et sa contestation; le Min (c'est-à-dire l'apostat chrétien, probablement), pour le juif, a quitté totalement sa communauté d'origine. Mais symétriquement le judaïsme rabbinique oubliera que Jésus était juif et qu’il l’est resté.

Alors peuvent se formuler les théories du rejet - substitution - transfert.

c) Le temps du dialogue

Situation de Rm 9 - 11

a) Dans le NT :

Paul écrit avant la rédaction des Synoptiques (surtout Mt) et de Jean, qui sont inspirés par la polémique juive contre la "Minut" (c'est-à-dire l'exclusion des "apostats" hors du judaïsme).

b) Dans Paul :

Dans 1 Th 2,14 ss, il est amer et concret, allant jusqu'à reprendre les lieux communs païens! L'Épître aux Galates ne vise pas les Juifs mais les judéo-chrétiens hellénistes (cf. M. Hubaut, Catholicisme, fasc. 47 (t. 10, 1985), "Paul" col. 881 ss).

c) Dans l'Épître aux Romains

Ce sera le dernier mot de Paul (si l'on suppose que Ep 2,15 ss relié à Paul de façon moins étroite et qu'il ne traite que de la réconciliation déjà opérée dans l'Église entre les deux peuples qui croient au Christ). C'est seulement en Romains que Paul traite de la question théologique de la coexistence des deux communautés :

l) on suppose que Rm 9-11 sont liés au reste de Rm (malgré Bultmann et d'autres). Par un lien existentiel et affectif, doctrinal, structurel aussi.

2) la perspective est maintenant collective, à la différence de Rm 1-8.

C'est aussi une méditation contemplative, qui nous fait revoir l'histoire passée du point de vue même de Dieu. Noter la présence d'une prière, au début et à la fin.

Un coup d’œil sur l’ensemble du texte 

Pour mémoire: Nous essayons de nous en tenir au consensus des exégètes. Mais certaines positions sont nettement théologiques : la thèse de Refoulé, qui est un échafaudage d’hypothèses, ne se comprend que par la volonté (inconsciente) de justifier à tout prix la théorie patristique de la substitution. Il vaut mieux partir du plus clair pour expliquer l’obscur, et non nier l’évidence pour sauver une thèse que l’on croit liée à la foi.

•Les genres littéraires sont divers : doxologie et contemplation (11,33-36; cf. 9,1-5), etc.

• Procédés rabbiniques du midrash, mais aussi hellénistiques (suspens, dramatisation...)

•Le plan proposé illustre bien tous ces aspects.

Deux passages essentiels

a) 11, 11-15 : partenaires dans l’histoire du salut

La question de 11 montre que la théologie du reste (déployée en 11,1-5) ne suffit pas. Dans le dessein de Dieu cela va plus loin. L'entrée des païens dans l'Église n'est pas l'intention ultime, mais bien la "jalousie" des Juifs. C’est bien évidemment le sommet de l'ensemble; il éclaire tout le reste.

Le "faux pas" (paraptôma) du v. 12 se précise au v. 15 : "perte" (apobolè) et "réintégration"(proslempsis ). Mais "la vie d'entre les morts", au v. l5, est-elle pour Israël dans son ensemble?

On peut se demander si la comparaison polémique de l'olivier peut être poussée logiquement jusqu'au bout.

b) 11,25b-32 : Israël toujours aimé de Dieu.

Il s'agit d'un mystère qui dépasse la sagesse humaine, le sens de l'endurcissement d'Israël. Or, en 11,25b et 26, le terme Israël ne peut désigner que l'Israël historique : en partie endurci, il sera sauvé tout entier.

En tout cas les vv. 28 et 29 sont clairs : "les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables", même si, d'un point de vue empirique, les Juifs, dans leur ensemble, sont "ennemis", malgré tout, du point de vue de l’élection, ils sont "aimés à cause des Pères". Ceci ne peut s'entendre que du point de vue de Dieu auquel se place Paul : nous sommes hors du temps de l’histoire (pas de verbe): "Ennemis, il est vrai, selon l'Évangile, à cause de vous, ils sont, selon l'élection, chéris à cause de leurs pères" . Israël est donc toujours un élément du dessein salvifique de Dieu.

En dehors de cette conclusion on ne peut comprendre Rm: pourquoi Paul consacrerait-il tant de pages à prouver des truismes (on est sauvé par la foi au Christ) ?


vers la 4ème partie : conclusion et annexe

vers la 2ème partie : le tournant de Nostra Aetate