Mystère de l'Église, mystère d’Israël (IV)
D'après un matériau initialement élaboré par l'Abbé Louis Derousseaux, professeur émérite de théologie de l'Université catholique de Lille, texte revu, refondu et mis à jour par Menahem Macina.
© L. Derousseaux et M. Macina
Conclusion
a) Israël est toujours voie de salut pour les Juifs
Rm 9-11 propose une réflexion sur le sens du judaïsme dans l'histoire après le Christ. Même si sa logique nous échappe partiellement, il n'y a pas ici une lubie de Paul ni un corps étranger. Même si cela contredit les opinions des Pères de l'Église, on n'a pas le droit de lui faire violence. L'Église peut-elle se penser "peuple de Dieu" (cf. Barth) sans tenir compte de l'alliance jamais révoquée avec Israël ? L'Église sent-elle la "déchirure de l'absence"? ou bien les pagano-chrétiens que nous sommes se glorifient-ils aux dépens du tronc de l’olivier franc ? 1) Une même histoire du salut pour Israël et l'Église :
Car il y a une seule Parole de Dieu, une seule histoire du salut, une seule "voie" : mais c'est seulement en Dieu que cela peut être contemplé. En effet du côté de l'histoire concrète (du point de vue de l'évangile), les voies d'Israël et de l'Église sont distinctes voire ennemies; en revanche du côté de Dieu, avant comme après le Christ, elles sont deux aspects de l'unique élection dans le Christ (comme le souligne Barth à sa manière).
Paul dira plus tard (Col 1, 15-20; 2, 9-15; voire Ep 1, 3-14; 2, 11-22) que Dieu réconcilie tout dans le Christ, de toute éternité. Mais sans allusion au peuple juif incrédule [parce que le problème est moins brûlant?] (En tout cas il faut éviter l'expression "deux voies", ou "Sonderweg" comme Mussner).
Donc Israël était hier la racine et il le reste dans le Christ. Il sera présent à la fin, à l'achèvement. Il continue aujourd'hui à être aimé à cause des Pères (11, 28).
b) Israël et l’identité chrétienne
Il faut réagir avec vigueur contre un marcionisme larvé qui nie même l’enracinement chrétien dans l’olivier franc (ainsi Une brassée de confessions de foi, publiée par Henri Fesquet; et tant d’essais missionnaires qui remplacent dans la liturgie l’AT par des textes sacrés locaux...).
c) Le dialogue et ses questions
Israël se situe ici à un niveau différent des autres religions, puisque l'Église et Israël font partie du même dessein de Dieu. C’est le fondement essentiel : il s‘agit de la même histoire du salut, de la même Parole de Dieu, de la même Révélation.
2) La dissymétrie dans le dialogue :
Pourtant il y aura toujours une dissymétrie dans le dialogue, puisque le juif ne croit pas avoir besoin de Jésus pour se comprendre, tandis que le chrétien a besoin d’Israël pour trouver son identité.
3) Mutations du judaïsme:
Le chrétien doit se rappeler que le judaïsme vivant aujourd’hui n’est pas exactement le même que celui dont est né le christianisme : il a connu plusieurs mutations, comme la constitution du rabbinisme à Yabné, la mystique kabbaliste, le hassidisme... Ce judaïsme vit des valeurs que nous avons à découvrir, mais le chrétien ne peut accepter telle quelle l’interprétation de l'Écriture donnée dans les midrashim.
4) Le dialogue et l’orthopraxie.
Les chrétiens aimeraient dialoguer sur des points de théologie, mais le peuple juif est surtout attentif à l’orthopraxie. Ensemble, nous pouvons agir pour la justice et la paix dans le monde, mais les chrétiens qui prêchent l’amour à chaque phrase seraient plus convaincants si la croix de Jésus n’avait pas été trop souvent l’arme des pogromes et des massacres.
Annexe
Karl BARTH, Kirchliche Dogmatik II, 2 (1942) § 34 : "L'élection de la communauté" (= Dogmatique II, 2, traduction Labor et Fides (1958), pp. 205-304)
Barth résume lui-même sa position au début de ce § 34 :
- "La prédestination comme élection de Jésus-Christ est en même temps l'élection éternelle du peuple de Dieu dont l'existence signifie que Jésus-Christest attesté au monde entier et que le monde entier est appelé à croire en lui. (p. 205)
- L'Église qui s
JEAN-PAUL II, le 17 nov. 1980, à Mayence, aux représentants de la Communauté juive
- Dans la "Déclaration sur les rapports de l'Église avec le Judaïsme" du mois d'avril de cette année, les évêques de la République fédérale allemande ont débuté par cette affirmation: "Quiconque rencontre Jésus-Christ, rencontre le judaïsme". Je voudrais aussi faire mienne cette parole [...]
- La profondeur et la richesse de notre héritage commun se découvrent à nous d'une manière particulière dans le dialogue amical et la collaboration confiante. [...]
- La première dimension de ce dialogue, à savoir la rencontre entre le peuple de Dieu de l'Ancienne Alliance, une alliance jamais révoquée (Cf. Rm 11, 29) et celui du Nouveau Testament, est en même temps un dialogue interne à notre Église, pour ainsi dire entre la première et la deuxième partie de sa Bible. [...]
- Une seconde dimension de notre dialogue –véritable et centrale– est la rencontre entre les Églises chrétiennes d'aujourd'hui et le peuple actuel de l'alliance conclue avec Moïse.
Il importe "que les chrétiens — pour reprendre les directives postconciliaires — essayent de mieux comprendre les composantes fondamentales de la tradition religieuse du judaïsme et apprennent quelles lignes fondamentales sont essentielles pour la réalité religieuse vécue par les Juifs, selon leur propre compréhension". La voie de cette connaissance réciproque est le dialogue.
- [...] une troisième dimension de notre dialogue. [...] Juifs et chrétiens, les uns et les autres fils d'Abraham, sont appelés à être une bénédiction pour le monde (cf. Gn 12, 2 et s.), dans la mesure où ils s'engagent ensemble pour la paix et la justice [...]
(Documentation Catholique 21 déc. 1980, pp. 1148-1149; traduction retouchée).