Mystère de l'Église, mystère d’Israël (II)

De Ebior
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AUTEURS : 

D'après un matériau initialement élaboré par l'Abbé Louis Derousseaux, professeur émérite de théologie de l'Université catholique de Lille, texte revu, refondu et mis à jour par Menahem Macina.

© L. Derousseaux et M. Macina, 2002

Vers la 1ère partie : l'histoire des mentalités


Le tournant de Nostra Aetate, 4 (28 oct. 1965)

L’initiative en revient à Jean XXIII. Cette démarche, qui paraissait modeste, allait rencontrer d’incroyables résistances. Elle marque un tournant dans l’histoire de l'Église.

(Voir les histoires du Concile, en particulier René LAURENTIN, L'Église et les Juifs à Vatican II, Casterman, 1967). 

La dramatique naissance d'un texte. Quelques rappels.

On se rappelle qu’il n’a pas été possible de faire un texte indépendant sur le judaïsme; il a fallu en fin de compte le rattacher à un texte général sur les religions (malgré quelques phrases dans Lumen Gentium 16). C’est l’indice d’une très forte résistance des mentalités, même chrétiennes, aggravée encore par les tensions politiques à propos d’Israël. C’est le seul texte du Concile qui ait donné lieu à des pressions politiques.

En principe la IVe session ne pouvait plus apporter que des modifications de détail. Mais une violente campagne de presse dans les pays arabes et les menées du Coetus internationalis (organe de pression intégriste et antisémite) provoquèrent des modifications relativement importantes, toujours pour affaiblir le texte. Le vote final fut confus : 250 non contre l'ensemble du texte, 245 non pour affirmer le déicide (qui n'était d'ailleurs plus condamné explicitement). Texte final promulgué le 28 octobre 1965 par Paul VI, avec des mots chaleureux pour les Juifs. 

Le texte lui-même (Déclaration Nostra Aetate § 4)

Il veut être un enseignement théologique fondé sur l'Écriture, sans incidences politiques. Noter l'absence de références à des documents de la tradition ou du magistère.

alinéa 1 : il dit prophétiquement l’essentiel. Le mystère d’Israël fait partie de l’identité de l'Église : "Nos deux communautés religieuses sont liées au niveau même de leur propre identité" explicitera souvent, ensuite, Jean-Paul II (DC 1982, 339).

alinéa 2 : en principe il ne fait pas difficulté. L'Église du Christ trouve ses origines dans les Patriarches, etc.; elle se nourrit de la racine de l’olivier franc. Paul l’a assez dit en Rm 11,17s.

À la première ligne, on a enlevé, en 1965, grato animo.

alinéa 3 : Rm 9,4 ss ne peut faire difficulté. Mais ce n’est pas explicité : qui sont les "siens"? On remarque l’usage du mot "peuple juif" populo judaico, qui ne désigne nulle part ailleurs les juifs d’aujourd’hui.

alinéa 4 : c’est l’affirmation la plus forte sur les juifs d’aujourd’hui (avec Paul dans Rm 11, 28) : ils restent "chers à Dieu" et ne sont pas éliminés de l’espérance eschatologique. Mais un ajout négatif de 1965 contrebalance Paul (depuis "Au témoignage" jusqu’à "Évangile").

alinéa 5 : le Concile recommande connaissance et estime mutuelles. Pour la première fois dans l’histoire.

alinéa 6 : affaibli en 1965, et le mot "peuple" disparaît deux fois pour "Juifs".

alinéa 7 : le mot "déicide" a disparu. L’ancien texte portait :

 ...que jamais le peuple juif ne soit présenté comme 
une nation réprouvée ou maudite ou coupable de déicide...

Il avait fait l'objet d'une discussion confuse et ambigue. De bons apôtres (Ruffini) prétendaient que l’accusation était contradictoire dans les termes : on ne peut tuer Dieu, surtout pas des gens qui croient en lui. Mais... c’est toujours en poussant ce cri de "déicides" que les chrétiens ont massacré les juifs. Beaucoup ont été déçus de ne plus voir condamner l’accusation de déicide.

alinéa 8 : l'Église déplore (avant 65 : ‘et condamne’) les haines, les persécutions (certains voulaient supprimer pour vexationes, car en latin persecutiones indique seulement une action en justice; mais les traductions auraient été édulcorées!). Le Concile a maintenu la mention d’antisémitisme.

alinéa 9 : la Croix est le signe de l’amour divin universel, à cause des péchés de tous les hommes. [Donc refus d’une culpabilité spéciale des juifs] 

Conclusion 

La place des Juifs dans l'histoire du salut n'est pas contestée (Paul oblige!), mais on refuse de parler du peuple juif, on parle de "religion juive" aujourd’hui plutôt que des "Juifs". On rappelle l'unité d'origine, mais on ne touche pas au problème du statut actuel des juifs dans le plan de Dieu. Malgré ses faiblesses, le texte a une importance immense, car il marque la première réaction officielle et autorisée de l'Église catholique. Une nouvelle période s'ouvre. 

Avancées et questions

a) Des questions 

Depuis le Concile, un mouvement constant et progressif met en œuvre ces courageuses recommandations. Mais il faut se rendre compte que le Concile innove, à la grande crainte de certains : il ne s’appuie que sur Paul (Rm 9 - 11) sans pouvoir citer aucune déclaration importante des Pères ou du Magistère. Ce qui pose quelques problèmes de théologie fondamentale.

Le concile prône le dialogue, mais il faut comprendre l’asymétrie entre les deux partenaires : le chrétien ne peut ne pas savoir qu’Israël est sa racine, mais le juif pense n’avoir pas besoin du chrétien pour se comprendre lui-même comme juif. Tout comme le catholique ne croit pas avoir besoin des mormons pour découvrir son identité chrétienne. 

b) Avancées 

Il est clair que sans l'événement d'Auschwitz le Concile n'aurait pas eu l'idée ni la force de faire cette déclaration. Après lui d'autres ouvertures seront possibles. Signalons :

1) Le texte du Comité épiscopal français pour les relations avec le Judaïsme de Pâques 1973. Au jugement des Juifs, c'est là qu'on va le plus loin dans la compréhension du judaïsme par lui-même. En voici quelques extraits dont le contenu déborde les affirmations du Concile :

–La mission propre du peuple juif dans le plan de Dieu

Même si, pour le christianisme, l’Alliance est renouvelée en Jésus-Christ, le judaïsme doit être regardé par les chrétiens comme une réalité non seulement sociale et historique, mais surtout religieuse; non pas comme la relique d’un passé vénérable et révolu mais comme une réalité vivante à travers le temps. Les signes principaux de cette vitalité du peuple juif sont : le témoignage de sa fidélité collective au Dieu unique, sa ferveur à scruter les Écritures pour découvrir, à la lumière de la Révélation, le sens de la vie humaine, sa recherche d’identité au milieu des autres hommes, son effort constant de rassemblement en une communauté réunifiée. Ces signes nous posent, à nous chrétiens, une question qui touche le cœur de notre foi : quelle est la mission propre du peuple juif dans le plan de Dieu? Quelle attente l’anime, et en quoi cette attente diffère-t-elle ou se rapproche-t-elle de la nôtre ? (III)

–Une élection qui continue : la première Alliance n'est pas caduque

Contrairement à ce qu’une exégèse très ancienne mais contestable a soutenu, on ne saurait déduire du Nouveau Testament que le peuple juif a été dépouillé de son élection. L’ensemble de l'Écriture nous incite au contraire à reconnaître dans le souci de fidélité du peuple juif à la Loi et à l’Alliance le signe de la fidélité de Dieu à son peuple. (IV)

La première Alliance, en effet, n’a pas été rendue caduque par la nouvelle. Elle en est la racine et la source, le fondement et la promesse. S’il est vrai que, pour nous, l’Ancien Testament ne délivre son sens ultime qu’à la lumière du Nouveau Testament, cela même suppose qu’il soit accueilli et reconnu d’abord en lui-même (cf. 2 Tm 3,16). On n’oubliera pas que, par son obéissance à la Torah et par sa prière, Jésus, homme juif par sa mère, la Vierge Marie, a accompli son ministère au sein du peuple de l’Alliance. (V)

– Un unique plan de salut, pour Israël comme pour l'Eglise 

Le peuple juif a conscience d’avoir reçu, à travers sa vocation particulière, une mission universelle à l’égard des nations. L'Église, pour sa part, estime que sa mission propre ne peut que s’inscrire dans ce même propos universel de salut.

Israël et l'Église ne sont pas des institutions complémentaires. La permanence, comme en vis-à-vis d’Israël et de l'Église est le signe de l’inachèvement du dessein de Dieu. Le peuple juif et le peuple chrétien sont ainsi dans une situation de contestation réciproque ou, comme dit saint Paul, de "jalousie" en vue de l’unité (Rm 11,14; cf. Dt. 32, 21). (VII) 

2) Les Notes romaines du 24 juin 1985, qui mériteraient d'être mises en œuvre! Ces Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique explicitent bien les conséquences de l’attitude définie par les textes conciliaires et les Orientations.(Notes = DC 1985, 733-738) 

3) Le geste de Jean-Paul II à la synagogue de Rome le 13 avril 1986. Il répète souvent qu'il s'agit là d'une question d'identité chrétienne :

 l'Église du Christ découvre son "lien" avec le judaïsme "en scrutant son propre mystère" (cf. Nostra Aetate, ibid.). La religion juive ne nous est pas "extrinsèque" mais, en un certain sens, elle est "intrinsèque" à notre religion. Nous avons donc, à son égard, des rapports que nous n'avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et dans un certain sens, on pourrait dire nos frères aînés.(Juifs et Chrétiens, Cerf, [1986], pp. 54-55 = allocution de Jean-Paul II; cf. DC 1986, 433-439)


Voir encore le discours aux Délégués des Conférences épiscopales pour les relations avec le judaïsme du 6 mars 1982(DC 1982, pp. 339-340). Voir aussi Annexe p. 42.

Pourtant pour éclairer le problème pendant de la signification actuelle du peuple juif, il nous faut faire un retour sur l'histoire des origines et sur le texte de Romains 9-11.

Vers la 1ère partie : l'histoire des mentalités

Vers la 3ème partie : le fondement théologique dans Rm 9-11