Le témoignage de Flavius Josèphe
L’auteur et son œuvre
Aristocrate né en 37 ou 38, fils du prêtre Matthias, Josèphe fut chargé en 66 de la défense de la Galilée lors de l’insurrection juive contre Rome. Seul rescapé d’un suicide collectif, il se rendit au général romain Vespasien et lui prédit qu’il deviendrait empereur. En 69, une fois libre, il accompagna son fils, le futur empereur Titus, qui assiégeait Jérusalem et servit d’intermédiaire entre les belligérants.
Après la chute du Temple en 70, il prit le nom de son protecteur (Flavius), s’établit à Rome et composa une importante œuvre littéraire, à la fois pour se défendre et pour répondre aux attaques contre le peuple juif qu’il ne renia jamais. Il mourut sans doute peu après l’an 100.
L’œuvre de Flavius Josèphe, totalement ignorée du judaïsme traditionnel, fut conservée par les chrétiens qui l’ont maintes fois recopiée et traduite. Elle reste, aujourd’hui encore malgré les découvertes de Qumran, notre principale source de connaissance du judaïsme à l’époque de Jésus.
Quatre ouvrages nous sont parvenus :
- La Guerre des Juifs (De bello iudaico), rédigée en araméen puis traduite en grec, peu avant 80. La période couverte s’étend du règne d’Antiochos Epiphane (175 A.N.C.) à la prise de Massada, en 74, après la destruction de Jérusalem dont Josèphe attribue la cause à la désobéissance du peuple d’Israël.
- Les Antiquités judaïques, œuvre capitale achevée vers la fin du règne de l’empereur Domitien (93 ou 94) qui recouvre toute l’histoire d’Israël depuis la création du monde jusqu’au gouvernement du procurateur roman Gessius Florus (64).
Les sources de Josèphe sont variées :
- la Bible en hébreu et en grec,
- la Lettre d’Aristée qui décrit la formation de la version grecque des Septante
- d’importants matériaux juifs para-bibliques sous formes narratives (haggadah) ou juridiques (halakah)
- d’autres écrivains comme l’historien Nicolas de Damas, ami d’Hérode ou le philosophe Philon d’Alexandrie, en particulier pour son commentaire sur le livre de la Genèse.
- Autobiographie
Pour se défendre contre des accusations personnelle, Josèphe justifie sa conduite lors de la guerre en Galilée en 66. - Contre Appion
Pour répondre aux critiques contre Israël, Josèphe veut prouver l’ancienneté du peuple juif qu’il défend vigoureusement.
Flavius Josèphe, dont la personnalité et l’œuvre ont été longtemps méprisées ou rejetées, est mieux apprécié dans les études actuelles. A deux reprises, le nom de Jésus y est mentionné
Le passage sur Jacques
Le premier passage relate la transition en 62 entre deux gouverneurs romains (Festus remplacé par Albinus) et la destitution du grand prêtre Hanne, le beau-père de Caïphe (Jn 18,13) remplacé par son fils portant le même nom. C’est dans ce contexte qu’eut lieu le procès et la lapidation de Jacques, frère du Seigneur (une étude sur ce personnage sera bientôt disponible ), chef de la communauté chrétienne de Jérusalem. (cf. Ga 2,9 et Ac 15,13)
Antiquités Juives, XX,197-203
… « Hanne le jeune qui avait reçu le souverain pontificat, était de tempérament impétueux et suprêmement audacieux ; il appartenait au parti des sadducéens qui dans leurs jugements sont très durs parmi tous les juifs, comme nous l’avons déjà montré. Avec un tel [caractère], Hanne estima que le moment était venu, du fait que Festus était mort et qu’Albinus était encore en voyage. Il convoqua les juges du Sanhédrin et traduisit devant eux le frère de Jésus appelé le Christ – son nom était Jacques – en même temps que d’autres. Il les accusa d’avoir transgressé la Loi et les livra pour qu’ils soient décapités »…
Selon E.Doherty, le passage en gras serait une interpolation, c’est-à-dire un ajout par un copiste chrétien ultérieur qui l'aurait tiré d’un passage similaire de Matthieu (1,16).
De plus un troisième passage, perdu mais cité par Origène et par Eusèbe contiendrait la même expression et la même interpolation : « Jésus qu’on appelle le Christ «.
[EBIOR : cette information n’a pas pu être vérifiée : quelqu’un serait-il mieux renseigné ?]
Mais la thèse de l’interpolation est difficile à prouver et sans doute inutile. En effet, un copiste tardif n'aurait pas parlé de "frère" (la polémique sur les frères et les sœurs de Jésus remonte au IV ème siècle jusqu'à ce que saint Jérôme fasse triompher l'interprétation de "cousin" ) et n'aurait pas atténué l'identification de Jésus au Christ.
(cf. V.MASSORI, Hypothèses sur Jésus, p.202)
Le Testimonium Flavianum
C'est le nom traditionnel ( témoignage flavien) donné au passage suivant tiré d'Antiquités juives, XVIII, 63-64.
Textes
Les passages discutés sont en gras
- 1 Histoire ecclésiastique d'Eusèbe de Césarée (265-340). Il s'agit de la version standard correspondant à une double tradition manuscrite grecque qui nous est parvenue fort corrompue..
"Vers ces temps-là un homme sage est né, s'il faut l'appeler un homme. Il accomplissait notamment des actes étonnants et est devenu un maître pour des gens qui acceptaient la vérité avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de grecs. Le Christ c'était lui. Et quand, par suite de l'accusation de la part des gens notables parmi nous, il avait été condamné par Pilate à être crucifié, ceux qui l'avaient aimé dès le début n'ont pas cessé. Il leur est apparu le troisième jour de nouveau vivant selon les paroles des divins prophètes qui racontent ceci et mille autres merveilles à son sujet. Et jusqu'aujourd'hui le peuple qui s'appelle chrétien d'après lui n'a pas disparu." (Traduction d'Herman SOMERS)
Et vers ces temps-là une autre offense est venue provoquer une sédition des juifs."
- 2 Histoire universelle d'Agapios, évêque melchite de Hiérapolis en Syrie au X ème siècle. En 1971 le professeur Shlomo PINES de l'université hébraïque de Jérusalem attira l'attention sur ce texte en arabe que personne n'avait remarqué alors qu'il était pourtant traduit en français.
"En ce temps-là vivait un sage nommé Jésus. Il se conduisait bien et était estimé pour sa vertu. Nombreux furent ceux, tant Juifs que gens d'autres nations, qui devinrent ses disciples. Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui étaient devenus ses disciples ne cessèrent de suivre son enseignement. Ils racontèrent qu'il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant. Peut-être était-il le Messie sur qui les prophètes ont raconté tant de merveilles."
- 3 Chronique syriaque de Michel le Syrien, patriarche jacobite d'Antioche au XII ème siècle.
"En ce temps-là, il y eut un homme sage du nom de Jésus s'il nous convient de l'appeler homme. Car il était l'auteur d'œuvres glorieuses et maître de vérité. Et de beaucoup parmi les Juifs et parmi les nations il fit ses disciples. On pensait qu'il était le Messie. Et non selon le témoignage des chefs de notre peuple. C'est pourquoi Pilate le livra au châtiment de la croix et il mourut. Et ceux donc qui l'aimaient ne cessèrent pas d'aimer. Il leur apparut au bout de trois jours, vivant. Car les prophètes de dieu avaient dit sur lui de telles merveilles. Et jusqu'à nos jours n'a pas cessé le peuple chrétien qui tire de lui son nom."
- 4 Reconstitution d'A.Pelletier reprise dans le Monde de la Bible, n°109,1998, p 18-19 : les sources littéraires de la vie de Jésus et dans les Suppléments aux cahiers Evangile, n°36, Flavius Josèphe, Cerf, p 51. Remarquons que Michel Quesnel dans son article du Monde de la Bible ne précise pas que la traduction proposée est une reconstitution moderne !
"A cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel, car il accomplissait des choses prodigieuses. Maître de gens qui étaient tout disposés à faire bon accueil aux doctrines de bon aloi, il se gagna beaucoup de monde parmi les Juifs et jusque parmi les Hellènes. Lorsque, sur la dénonciation de nos notables, Pilate l'eut condamné à la croix, ceux qui lui avaient donné leur affection au début ne cessèrent pas de l'aimer, parce qu'il leur était apparu le troisième jour, de nouveau vivant, comme les divins prophètes l'avaient déclaré, ainsi que mille autres merveilles à son sujet. De nos jours encore ne s'est pas tarie la lignée de ceux qu'à cause de lui on appelle chrétiens.
- 5 Traduction d'Herman SOMERS qui propose deux petites corrections au texte grec ce qui l'amène à une traduction originale et renouvelée.
"Vers ces temps-là un homme sage est né, s'il faut l'appeler sage. Il accomplissait notamment des actes bizarres et est devenu un maître pour des gens qui l'acceptaient vraiment avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de grecs (que) lui-même était le Christ . Et c'est lui (justement) qui par suite de l'accusation de la part des gens notables parmi nous, avait été condamné par Pilate à être crucifié et ceux qui l'avaient aimé dès le début n'ont pas cessé (de prétendre : ) il leur était apparu le troisième jour de nouveau vivant, les divins prophètes ayant prétendu ceci et mille autres merveilles à son sujet. Et jusqu'aujourd'hui le (petit) peuple qui s'appelle chrétien d'après lui n'a pas disparu.
Et vers ces temps-là un autre scandale est venu perturber les juifs"
Commentaires
Le Testimonium Flavianum a vu son authenticité contestée dès le XVI ème siècle car Origène (185 - 255) affirme dans le Contra Celsum, 1, 47 que Josèphe n'était pas chrétien.
Or les expressions en gras du texte 1 (" s'il faut l'appeler un homme", "il était le Christ", "il leur apparut vivant") paraissent trop chrétiennes sous la plume d'un juif pratiquant comme Flavius Josèphe.
La discussion n'a pas cessé depuis et plusieurs opinons contradictoires ont été émises :
- Tout le passage serait une fabrication chrétienne entre l'époque d'Origène (III ème siècle) et celle d'Eusèbe (IV ème siècle) : opinion minoritaire à l'heure actuelle.
- Le passage serait authentique (NODET : Jésus et Jean-Baptiste selon Josèphe) et l'intention de Josèphe serait polémique : opinion encore plus minoritaire.
- Seuls les passages en gras seraient une interpolation chrétienne : opinion majoritaire. Il suffirait donc de les enlever pour retrouver le texte authentique de Josèphe (théorie d'A.PELLETIER, dans Recherche de science religieuse, LII, 1964 ). Mais la reconstitution ainsi obtenue (texte 4) ne correspond à aucun manuscrit conservé.
- En 1971, l'étude de S.PINES attira l'attention sur les autres versions (Agapios texte 2 ; Michel texte 3 ; Jérôme, De Viris illustribus, version non reproduite dans cet article). Il serait cependant excessif de considérer le texte d'Agapios comme la version originale du témoignage de Josèphe ainsi que l'ont fait plusieurs savants. Certes ces versions paraissent plus proches de la pensée juive et ressemblent plus à ce que Josèphe "aurait dû écrire". Mais méfions-nous de ce genre de raisonnement : aussi bien Agapios que Michel ou Jérôme sont des auteurs chrétiens dont le but n'était certes pas de minimiser ou de nier la messianité du Christ ainsi que sa résurrection.
A ce sujet, les réflexions d'A.PAUL, Cahier Evangile n° 14, Intertestament, p 21 me paraissent pertinentes : " Il est impossible de reconstituer le texte primitif tel que Josèphe l'aurait rédigé. Plutôt que de considérer les recensions comme des variantes d'un seul et même texte dit ' primitif ', il convient de voir en chacune d'elles un texte différent".
La recherche est depuis trop longtemps bloquée par les notions parasites de texte primitif, d'authenticité et d'interpolation. Restons humbles devant les textes conservés et ne les récrivons pas à la place de l'auteur, comme "il aurait dû le faire !"
- Ensuite, une étude récente en 1977 de Herman H.Somers, le Testimonium Flavianum reconsidéré, a relancé le débat. Le texte grec aurait été mal traduit (mots en vert dans les textes 1 et 5) et deux petites erreurs de lecture introduites par un copiste (mots en rouge).
Le témoignage serait ainsi authentique, seulement corrompu involontairement. Josèphe n'affirmerait ni la messianité ni la divinité de Jésus. Au contraire, l'appréciation serait négative, opposant les affirmations de Jésus et de des disciples à l'opinion personnelle de Josèphe.
Pour des renseignements supplémentaires, voir le site d'H.SOMERS 'flavius' qui nécessite une bonne connaissance du grec ancien.
- Enfin, remarquons que de l'avis de beaucoup, Josèphe a parlé du Christ, d'une manière ou d'une autre et reconnaît donc sa réalité historique.