Le suaire d’Oviedo
Remarque préliminaire
Concernant les linges sépulcraux de l’ensevelissement du Christ, il convient de distinguer
- Le linceul (en grec sindôn, en hébreu sadin), conservé à Turin en Italie, qui se présente sous la forme d’un drap de lin allongé, enveloppant tout le corps
- Le suaire (en grec soudarion), conservé à Oviedo en Espagne, sorte de mouchoir ou de serviette en lin pour essuyer la sueur, enveloppant uniquement le visage
L’expression Saint Suaire de Turin, transcrite littéralement de l’italien, prête donc à confusion et ne sera pas utilisée dans cette étude
Description
Le suaire d’Oviedo se présente sous la forme d’un rectangle de 83 x 53 cm, cousu sur un fond de toile blanche et serti dans un cadre en argent. Il ne porte pas d’image ou d’écriture mais bien plusieurs dizaines de taches dont quatre taches de liquide sous forme d’auréoles symétriques, traversant la toile de lin. L’envers de la toile, présenté lors des expositions au public, est beaucoup plus poussiéreux que l’avers. Sont également visibles une déchirure de 5,5 cm sur le bord de la partie horizontale supérieure ainsi que de petites perforations et une série de gouttes de cire.
Le suaire est lui-même enfermé dans un vieux coffre de chêne, l’Arca santa (coffre saint) de 2 mètre de long sur 1,2 mètre de haut et de large, recouvert depuis le XIIème siècle par une plaque d’argent travaillé représentant les apôtres, le Christ et les évangélistes. On y lit également une inscription latine datant de la même époque " De sindone dominico atque sudario et cruore sancto " (Au sujet du linceul du Seigneur ainsi que du suaire et du saint sang)
Le coffre lui-même se trouve dans une crypte appelée la Camara santa (" chambre sainte " en espagnol), creusée au IX ème siècle pour protéger la relique et constituant la partie ancienne de la cathédrale d’Oviedo, dans la province des Asturies, au nord de l’Espagne.
Historique
Selon l’inscription ci-dessus, les trois reliques (Linceul, Suaire et saint Sang) étaient conservées ensemble dans un même coffre
Vers 348, dans une homélie, saint Cyrille de Jérusalem (315 - 387) affirme : " tout ce que les Seigneur a souffert dans sa Passion, nous pouvons le voir sur ses linges mortuaires que nous conservons dans cette église (le Saint Sépulcre)
En 614, avant la prise de Jérusalem par les Perses, selon l’Histoire de PELAGIUS, évêque d’Oviedo au XII ème siècle, le coffre part vers l’ouest, par l’Égypte et l’Afrique du nord pour être accueilli en 616 à Carthagène par l’évêque d’Ecija, saint Fulgence, mort en 633. Celui-ci le remit à son frère Isidore, évêque de Séville, son supérieur et également son frère. Ce grand érudit, né vers 560/570 et auteur d’une importante encyclopédie qui rassemble le savoir antique, les Étymologies, mourut vers 636. A son tour, ce dernier le transféra à Tolède, siège de la principale église d’Espagne, dirigée par son archevêque, saint Ildefonse, mort en 667. En tout cas, la présence du coffre à Tolède en 636 est attestée par le concile de Braga de 679 et il y resta jusqu’en 718.
Nous avons également le témoignage de saint Braulion, futur évêque de Saragosse en Espagne en 631 et mort en 646, lors d’un pèlerinage à Jérusalem : " Bien des choses ont eut lieu qui n’ont pas été consignées par écrit, ainsi en est-il des linges et du linceul dont le corps du Seigneur a été enveloppé ; on dit dans l’Écriture que le Linceul fut trouvé, on ne dit pas qu’il fut conservé.. Je ne pense pas cependant que les apôtres aient négligé de garder ces pièces comme reliques pour les temps à venir. " . Soulignons le fait que saint Braulion avait fait ses études sous la direction de saint Isidore de Séville dont il acheva les Étymologies.
Peu avant 718 : réalisation d’un nouveau coffre en chêne, qui existe toujours : l’Arca santa
Vers 812 - 814 arrivée de ce coffre à Oviedo
IX ème siècle
- construction d’une crypte (la Camara santa) par le roi Alphonse II dit le Chaste, né en 759, roi des Asturies de 791 à 842) en-dessous de la cathédrale d’Oviedo . C’est sous son règne qu’aurait été découverte la tombe de l’apôtre Saint-Jacques par un ermite à Compostelle en 814.
- fortification de l’église par Alphonse III dit le Grand, roi des Asturies de 866 à 910 et en lutte avec les musulmans
14 mars 1075 ouverture du coffre et inventaire de son contenu par le roi Alphonse VI , roi de León (1065-1109), roi de Castille (1072-1109) à la mort de son frère, roi de Tolède (1085-1109) par conquête et roi de Galice (1090-1109) à la mort de son autre frère, ainsi que par Rodrigo DIAZ de Vivar, mieux connu sous le nom du Cid Campeador. Cet inventaire se trouve toujours dans les archives de la cathédrale d’Oviedo.
1113 le coffre est recouvert d’une plaque d’argent
1556 l’ancienne cathédrale fortifiée est remplacée par une cathédrale gothique tout en conservant l’ancienne crypte
Entre 1585 et 1598 l’évêque d’Oviedo, Diego Aponte de Quinares ordonna un nouvel inventaire de l’Arca santa
1978 étude des pollens par le célèbre criminologue suisse, Max FREI
1985 étude de Mgr RICCI, président du Centre romain de Sindonologie
1989 visite du pape JEAN-PAUL II
9/10 novembre 1989 et 16/17 février 1990 études du Centre espagnol de Sindonologie
1990 datation au carbone 14 par les laboratoires de Tucson et de Toronto : entre 679 et 710 après Jésus-Christ ?!
20/29 avril 1991 Premières publications lors du congrès de Sindonologie de Cagliari
Juin 1993 étude du groupe sanguin par le Dr Carlo GOLDONI
29 au 31 octobre 1994 1er congrès international sur le Suaire d’Oviedo, dans la ville même
Études
Les pollens
Max FREI, directeur du laboratoire de criminologie de Zurich et botaniste de formation, préleva en 1973 des poussières sur le Linceul de Turin, pour en étudier les pollens qui ont la propriété de garder leur aspect pendant des milliers d’années. Il effectua les mêmes recherches en 1978 sur le Suaire d’Oviedo et publia ses résultats l’année suivante
Une dizaine de variétés de pollens ont été retenues, spécifiques du moyen orient, d’Afrique du nord et d’Espagne dont voici les principales, selon l’étude récente (1994) de Carmen Gómez FERRERAS qui a continué les travaux antérieurs :
Nom scientifique |
Nom commun |
Datation |
Localisation |
Autres reliques |
---|---|---|---|---|
Alnus glutinosa |
aulne |
récente |
|
Linceul, Tunique |
Quercus perennifolius |
chêne |
récente |
|
Linceul, Tunique |
Jupinerus oxycedrus |
plante grasse |
ancienne |
Origine : moyen orient |
Tunique |
Cedrus libani |
cèdre du Liban |
ancienne |
|
Linceul, Tunique |
Pistacia palestina |
pistachier |
ancienne |
Uniquement en Palestine |
Linceul, Tunique |
Tamarix hampeana |
tamarin |
ancienne |
Uniquement en Palestine |
Linceul, Tunique |
Senecio vulgaris |
plante commune |
ancienne |
|
Linceul, Tunique |
Corylus avellana |
plante commune |
ancienne |
|
Linceul, Tunique |
Phoenix dactylifera |
palmier |
ancienne |
Tunique | |
Chenopodium album |
plante grasse |
récente |
Tunique | |
Parietaria judaïca |
Origine : moyen orient |
Les pollens désignés en gras apparaissent sur les trois principales reliques de la Passion, dont deux en italique correspondent à des plantes propres à la Palestine. Remarquons qu’il n’existe pas de pollens en provenance d’Anatolie, ce qui confirme les trajets différents effectués par le Linceul, qui a séjourné plusieurs siècles à Constantinople et par le Suaire avant leur arrivée en Europe.
La formation des taches
Fondateur du centre romain d’étude du Linceul de Turin, Mgr Giulio RICCI montra qu’il existait sur le suaire quatre taches bien visibles qui sont en réalité deux grandes taches, pratiquement symétriques, visibles des deux côtés de la toile.
Elles proviennent de l’application, sur un visage ensanglanté, du suaire plié en deux sur son épaisseur, selon un axe vertical passant par le milieu des grands cotés.
C’est la face recto qui a été mise en contact alors que la face verso a été présentée à la vénération des fidèles.
L’origine de ces taches provient d’un liquide sortant du côté droit de la bouche.
Voici en résumé les conclusions des congrès de Cagliari (1990) et d’Oviedo (1994) :
- Le suaire semble bien un linge mortuaire, posé sur le cadavre d’un homme adulte car le mécanisme de formation des taches est incompatible avec un mouvement respiratoire quelconque
- La bouche de l’homme du suaire était fermée, le nez aplati et dévié vers la droite par la pression du linge.
- Les écoulements constatés proviennent d’un œdème pulmonaire.
- Le haut de la nuque présente des traces de saignement faites lorsque le corps était encore en vie et qui ont cessé, une heure environ avant le placement du suaire sur elles. A ce sujet, remarquons que la coulée frontale, visible sur le Linceul, ne l’est pas sur le Suaire car elle a eu lieu au moins six heures avant la mort et a donc eu le temps de se coaguler.
La tache n° 1, la plus importante, a eu lieu au moment du détachement du cadavre et de sa déposition sur le sol. Elle définit le contour extérieur du visage.
La tache n°2 a été provoquée par une main gauche qui, en maintenant les doigts repliés, poussa le nez du cadavre vers le haut. La toile appliquée sur le visage était , à ce moment-là, en épaisseur simple.
(voir dessin ci-contre)
Les taches n° 3 et 4 ont été provoquées par la même main gauche, le pouce appuyé sur l’aile droit du nez, le deuxième ou la troisième phalange des autres doigts bloquant l’aile gauche du nez pour empêcher que le sang ne coule. A ce moment, les taches ont été formées sur le côté extérieur de la deuxième partie du linge plié en deux.
Les trois dernières taches se sont formées environ une heure après la première, soit pendant le transport du corps vers la sépulture.
Une précision : pendant la formation des quatre taches, le Suaire est resté en place en entourant le côté gauche de la tête sans bouger car la situation relative entre le nez et le linge n’a pas varié.
En effet, il était attaché aux cheveux de la partie postérieure de la tête. Ceci se déduit d’une série de petites perforations visibles sur la toile.
La nature des taches
La faculté de médecine de l’université de Madrid démontra l’origine sanguine des taches par
- Examen d’hématies (globules rouges) au microscope électronique
- Réaction positive à la benzidine lors d’un traitement à l’acide acétique (méthode d’Adler)
- Une batterie de six tests utilisés dans les études médico-légales
Il s’agit en réalité d’un mélange de sérum (plasma sanguin purifié, débarrassé des facteurs de coagulation) et de sang dilué dans la proportion de 1 à 6.
L’équipe espagnole de Sindonologie du docteur VILLALIN put préciser qu’il s’agit d’un sang humain de groupe AB. Celui-ci est le plus rare avec une fréquence de 3 à 5% en Europe, 10 à 12 % en Chine et au Japon et pouvant atteindre jusque 15 % au moyen orient dont le peuplement est fort hétérogène. Ce dernier point ne permet donc pas de préciser l’origine géographique de son porteur.
Par contre l’identité du groupe sanguin du Suaire et du Linceul est un argument fort pour affirmer que les deux linges ont été mis en contact avec la même personne et qu’une fraude est très peu probable. En effet, la probabilité pour que ce soit une simple coïncidence est de 0,05 x 0,05 soit 0,0025 ou 0,25 %. C’est-à-dire une chance sur 400. A l’inverse, la probabilité que le sang ait une origine commune et provienne du même homme est de 99,75 %. En conclusion, que ce soit dans l’antiquité ou au moyen âge, en France ou en Espagne, la notion de groupe sanguin était inconnue et des fraudeurs éventuels n’avaient pratiquement aucune possibilité d’obtenir fortuitement une telle ressemblance.
L’étude comparée du Suaire d’Oviedo et du Linceul de Turin
L’existence des mêmes pollens provenant du moyen orient et l‘identité des groupes sanguins permettaient d’envisager une étude comparative. Mgr RICCI, en superposant des images à la même échelle des deux reliques, constata le premier que de nombreux détails coïncidaient entre les deux images. Il émit l’hypothèse que le Suaire d’Oviedo, plié en deux, fut posé sur la même tête que celle qui est reproduite sur le Linceul de Turin. Les examens détaillés du centre espagnol de Sindonologie, qui seront examinés dans un prochain article, ont confirmé cette hypothèse en 1990. C’est ainsi que la longueur du nez sur le Suaire, soit 8 cm, correspond à celle du nez de l’homme du Linceul ! Quelles conclusions en retirer ? Que les deux reliques se complètent mutuellement et que leurs études respectives permettent d’éliminer des affirmations hâtives.
Le Suaire est connu historiquement de manière sure depuis 1075 alors que le Linceul ne l’est que depuis 1356. Mais puisque les deux linges correspondent à la même personne, ce dernier ne peut pas dater du XIVème siècle. La gigantesque différence de datation au radiocarbone du Linceul (1260) et du Suaire (650-700) devient incompréhensible et ne fait que souligner l’incohérence des résultats obtenus par cette méthode. Si un des deux linges peut raisonnablement être attribué à Jésus-Christ (et c’est le cas pour le Linceul), alors cette conclusion est également valable pour l’autre.
La reconstitution de la fin de la Passion du Christ
L’étude détaillée de la première tache a permis d’obtenir des résultats précis sur la position du corps sur la croix ainsi que sur sa déposition, domaine dans lequel les connaissances précédentes demeuraient fort vagues :
Sur la croix, la tête était inclinée en avant de 70 degrés par rapport à la verticale(voir schéma n° 1) .
Au moment de la mort, un ultime soubresaut provoqua une dernière coulée de sang sur l’arrière de la tête, provoquée par la couronne d’épine. Celle-ci est retirée après le coup de lance dans le côté droit et le Suaire est posé sur la tête, conformément à la coutume juive de couvrir la tête des crucifiés.
Lors de la descente du corps qui commence par les clous des pieds puis se poursuit par le clou du poignet gauche, le bras gauche était semi fléchi et le bras droit était levé en arrière de la tête. Par un mouvement de bascule, la tête dans l’axe du corps fait un angle de 20 degrés sur la droite par rapport à la verticale. Cela a pu provoquer une remontée du liquide des poumons, s’expulsant d’abord par le nez puis par le coin droit de la bouche.(voir schéma n° 2)
Une fois déposé, le Suaire restant toujours sur la tête, le corps a été allongé sur le dos puis tourné sur le côté droit, le front contre le sol, pendant une heure environ. Par le poids du corps, la tête s’est redressée pour former un angle de 20 à 30 degrés par rapport à l’axe du corps, au lieu des 70 degrés initiaux. C’est pendant cette période que se forma la première tache soit environ 20 cm3 de liquide qui mettra une quinzaine de minutes pour diffuser sur la toile du Suaire. (voir schémas n° 3 et 4)
Les mouvements provoqués par le déplacement du corps au sol (bras droit ramené de force sur la poitrine) provoquèrent un écoulement par les narines. Pour essayer de l’arrêter, une main pinça alors le nez de bas en haut, le poing fermé à l’intérieur du linge plié (2ème tache)
Lors du transport, la personne qui tenait le cadavre par les épaules comprima le nez, de la main gauche, à travers la toile, pour arrêter un nouvel écoulement (3ème et 4ème tache).
Après l’ensevelissement, le suaire n’a touché aucune blessure du crucifié.
La position constatée des bras a relancé l’intérêt pour la reconstitution du Père Paul de GAIL s.j., décédé en 1983, qui avait émis l’hypothèse que le Christ devait être soutenu sur la croix par des cordes sous les épaules avec les membres supérieurs en position demi fléchie. De cette manière les bras, au sens anatomique soit la partie comprise entre l’épaule et le coude étaient inclinés vers le bas alors que l’angle du coude donnait aux avant-bras une orientation vers le haut. (voir schéma n° 1)
Cette conception, fort éloignée des représentations habituelles, devrait de nouveau être considérée, en fonction des recherches récentes.
Bibliographie
Dr Jean-Maurice CLERCQ, La Passion de Jésus, François-Xavier de Guibert, 2004
André MARION et Gérard LUCOTTE, Le Linceul de Turin et la Tunique d’Argenteuil, Presses de la Renaissance, 2006
Malgré son titre, ce dernier livre aborde rapidement le Suaire d’Oviedo
Auteur : Fernand LEMOINE
Mise à jour : 23-févr.-2008