L'ignorance des Écritures

De Ebior
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Verbum Domini - L'ignorance des Écritures


    L'ignorance des Écritures est l'ignorance du Christ.  Cette parole que le Concile Vatican II avait reprise à Saint Jérôme, Benoît XVI la cite également dans sa dernière exhortation Verbum Domini, rappelant ainsi aux chrétiens l’importance de l’Écriture Sainte dans leur vie personnelle et dans celle de l’Église.  Plutôt que de donner une synthèse de ce document, nous en reprenons ici quelques idées maîtresses en invitant nos lecteurs à en découvrir la richesse par une lecture intégrale.


 La nouveauté de la Révélation. 

    Le pape prend comme guide le Prologue de l’Évangile de Saint Jean.  La méditation du mystère de Dieu qui est Amour, communion de trois personnes, permet de mieux comprendre le message qui est au cœur de ce texte.  Non seulement Dieu parle aux hommes, mais lorsque le Verbe se fait chair, il nous révèle Dieu lui-même dans le dialogue d'amour des Personnes divines et il nous invite à y participer. C'est pourquoi, créés à l'image et à la ressemblance de Dieu amour, nous ne pouvons nous comprendre nous-mêmes que dans l'accueil du Verbe et dans la docilité à l'œuvre de l'Esprit Saint. C'est à la lumière de la Révélation opérée par le Verbe divin que se clarifie définitivement l'énigme de la condition humaine. (n° 6).


    Toute l’Écriture, toute l’histoire du salut, trouve son accomplissement dans le ChristLa Parole divine se révèle donc au cours de l'histoire du salut et elle parvient à sa plénitude dans le Mystère de l'Incarnation, de la mort et de la Résurrection du Fils de Dieu (n° 7).  Comme dans une symphonie, l’unique Parole s’exprime de différentes manières, comme un chant à plusieurs voix.
    C’est cette même Parole, le Verbe fait chair dans la personne du Christ, que la Tradition vivante de l’Église annonce depuis les Apôtres.  La foi chrétienne n’est donc pas une « religion du livre », mais une religion de la Parole de Dieu faite chair.  Dans la personne de Jésus, Dieu ne parle plus comme dans le passé à travers les prophètes, mais il se donne dans la personne de son Fils qui devient l’un de nous.  Cette mission trouve son accomplissement dans le mystère pascal (n°12), où Dieu nous parle à travers le langage de la Croix :
     Le Verbe se tait, il devient silence de mort, car il s'est «dit» jusqu'à se taire, ne conservant rien de ce qu'il devait communiquer. De manière suggestive, les Pères de l'Église, contemplant ce Mystère, mettent sur les lèvres de la Mère de Dieu cette expression: «Sans parole est la parole du Père, laquelle a créé toute la nature parlante, sans mouvement sont les yeux éteints de celui par la parole et le geste de qui est mû tout ce qui se meut».  Ici, nous est vraiment révélé l'amour le «plus grand», celui qui donne sa vie pour ses propres amis (cf. Jn 15, 13).


    En même temps, le mystère de la Croix, qui, selon les paroles de Jésus à la dernière Cène, scelle l’Alliance nouvelle et éternelle, ce mystère ne se comprend pleinement que dans la lumière de la Résurrection :
     Dans le Mystère lumineux de la Résurrection, ce silence de la Parole se manifeste dans sa signification authentique et définitive. Le Christ, Parole de Dieu incarnée, crucifiée et ressuscitée, est le Seigneur de toutes choses; il est le Vainqueur, le Pantokrátor, et tout est récapitulé pour toujours en lui (cf. Eph 1, 10). Le Christ est donc «la lumière du monde» (Jn 8, 12), cette lumière qui «brille dans les ténèbres» (Jn 1, 5) et que les ténèbres n'ont pas arrêtée (cf. Jn 1, 5). Nous comprenons pleinement ici le sens du Psaume 119: «ta parole est la lumière de mes pas, la lampe de ma route» (v. 105); la Parole qui ressuscite est cette lumière définitive sur notre route.  (n. 12).
    En se faisant chair, Dieu se donne à nous, il nous invite à entrer dans la communion des trois Personnes divines.  Si l’homme veut accepter cette invitation, sa réponse doit être celle de la foi, de l’accueil de sa Parole.  L’adhésion à la vérité révélée signifie soumission de l’intelligence et de la volonté de l’homme à la Parole de Dieu. ( Rappelons que dans le langage de la Bible, écouter signifie en même temps obéir.) De même que le Verbe est entré dans l’histoire par l’action de l’Esprit Saint, l’accueil de la foi – de la Parole - ne se fait pas sans l’aide de l’Esprit  (cf. n° 25).
    Le meilleur exemple est celui de la Vierge Marie : à l’écoute de la Parole, ouverte à l’action de l’Esprit Saint, Marie a vécu toute sa vie en étant disponible à la volonté de Dieu1.  Dans le Magnificat, elle donne d’ailleurs un très bel exemple d’une prière tissée des fils de l’Écriture Sainte.  A l’inverse, le Pape rappelle que dans la Bible, le péché est souvent présenté comme la non-écoute de la Parole de Dieu.
    Ici se pose une question importante : Comment accueillir la Parole de Dieu, comment comprendre ses passages qui nous semblent obscurs et parfois problématiques ?

  Comment interpréter l’Écriture ? 

    Pour répondre à cette question, il faut partir d’une juste compréhension de la Révélation.  L'Écriture Sainte est Parole de Dieu en tant que, sous le souffle de l'Esprit divin, elle est consignée par écrit (n°19).  Cela ne signifie pas qu’elle elle a été dictée mot à mot. Au contraire, chaque auteur inspiré parle avec le langage, la mentalité et le bagage culturel de son époque.  D’autre part, la Révélation est profondément enracinée dans l’histoire ; Dieu se manifeste à travers des étapes successives à un peuple qu’Il éduque avec patience.  Le lecteur doit donc tenir compte de ce contexte historique, des cultures, des mœurs, des façons de s’exprimer de l’époque… ce qui n’est pas toujours facile.  Il faut éviter une lecture fondamentaliste, qui consiste à sortir des passages de leur contexte sans tenir compte de la manière dont le texte a été rédigé.
    D’autre part, la Bible, qui rassemble 72 livres dans deux Testaments, forme un seul livre qui a été confié au peuple croyant. Dans ce contexte, le Pape consacre un paragraphe aux relations entre juifs et chrétiens, en raison de nos racines spirituelles communes.  Bien que la Révélation soit considérée close depuis la mort du dernier Apôtre, elle progresse dans l’histoire de l’Église :  sa lecture s’enrichit à travers des siècles par de nouvelles connaissances.  Dans ce processus, les saints jouent un rôle particulier, de même que le Magistère, aidé par le travail des théologiens.  Tous ces éléments nous permettent de mieux comprendre les principes selon lesquels l’Écriture doit être interprétée.

    Les principes à suivre

    Le pape rappelle ici ce que disait déjà le Concile Vatican II (Cf. la Constitution dogmatique Dei Verbum, n° 12.) :  de même que les textes de l’Écriture ont été écrits et composés sous l’action de l’Esprit Saint, ils doivent être lus et interprétés avec l’aide du même Esprit.  C’est la règle suprême : l’interprétation de l’Écriture ne peut jamais se faire d’une façon purement intellectuelle, comme s’il s’agissait d’un livre quelconque.  Le lecteur doit donc souvent invoquer l’Esprit Saint pour accueillir la Parole non comme une parole d’homme, mais comme la Parole de Dieu.  Pour interpréter correctement l’Écriture plusieurs principes sont à observer.
    1) Puisque Dieu a voulu parler à travers des hommes et à la manière des hommes, il faut chercher attentivement ce que l’auteur sacré a vraiment voulu dire.
    2) De même que la Bible forme un seul livre, le texte doit être interprété en tenant compte de l'unité de l'ensemble de l'Écriture (ce qu’on appelle l’exégèse canonique).
    3) Comme ce Livre est né dans la vie du peuple croyant auquel il est confié, son interprétation doit tenir compte ensuite de la Tradition vivante de toute l'Église.
    4) Elle doit respecter enfin l'analogie de la foi : l’interprétation de la Parole doit rester conforme à la foi de l’Église et ne peut donc jamais contredire un article de foi.  D’autre part, un article de foi peut parfois éclairer le sens d’un passage particulier. 
    A la suite de Saint Paul et avec les Pères de l’Église, le Pape distingue alors le sens littéral du sens spirituel de l’Écriture.  Le sens littéral enseigne l’histoire, le sens spirituel ce qu’il faut croire, faire et espérer.  Un bel exemple de cette interprétation spirituelle nous est donné dans la 1ère Épître aux Corinthiens (1 Cor 10,1-18).  Saint Paul interprète le passage de la Mer Rouge dans le sens d’une préfiguration de la Pâque du Christ, de la Résurrection et du Baptême.  En relisant l’Exode à la lumière du Christ qui accomplit les Écritures, le chrétien peut aisément passer du sens littéral au triple sens spirituel :

  1.     - ce qu’il faut croire : la Résurrection du Christ et la vie nouvelle auxquelles nous participons par le Baptême ;
  2.     - ce qu’il faut faire : persévérer dans le combat spirituel, fuir les idoles (celles de notre époque !) et résister aux tentations ;
  3.     - ce qu’il faut espérer : la terre promise est pour le chrétien la préfiguration du Paradis ; cette espérance doit le soutenir dans la traversée du désert (la vie sur terre).

    Ainsi, la lecture dans l’Esprit (= lecture spirituelle), tout en étant attentive à l’intention de l’auteur, nous amène à dépasser le sens immédiat de la lettre pour relire toute l’Écriture à la lumière du Christ.  C’est ainsi que le chrétien, en suivant ces principes, peut puiser sa nourriture spirituelle même dans des textes parfois difficiles de l’Ancien Testament.  A la suite de saint Augustin, il pourra découvrir toujours plus en profondeur que le Nouveau Testament est caché dans l’Ancien, et l’Ancien est révélé dans le Nouveau. ( St. AUGUSTIN,  Questiones in Heptateuchum, 2, 73: PL 34, 623.)

L’Écriture dans la vie de l’Église et du monde

    Il n'existe pas de priorité plus grande que celle-ci:ouvrir à nouveau à l'homme d'aujourd'hui l'accès à Dieu, au Dieu qui parle et qui nous communique son amour pour que nous ayons la vie en abondance (cf. Jn 10, 10 ; n°3).  Avec ces paroles, Benoît XVI rappelle l’urgence de l’évangélisation comme première tâche de l’Église.  Il ne s’agit pas simplement de proposer certaines valeurs : elle doit nécessairement comporter l’annonce du nom, de l'enseignement, de la vie, des promesses, du Règne, du Mystère de Jésus de Nazareth, Fils de Dieu.  Tous les baptisés sont responsables de cette tâche que le Christ a confiée à ses disciples. 
    Pour être crédible, cette annonce doit également être accompagnée du témoignage d’une vie conforme à l’Évangile.  Les deux aspects se complètent :

  1.     - D'une part, la Parole est nécessaire pour communiquer ce que le Seigneur lui-même nous a dit;
  2.     - d'autre part, il est indispensable de donner crédibilité à cette Parole par le témoignage afin qu'elle n'apparaisse pas comme une belle philosophie ou une utopie, mais plutôt comme une réalité que l'on peut vivre et qui fait vivre. (n° 97).

   Mais comment annoncer la Parole, comment en témoigner si on n’est pas habité par elle ?
    Pour les chrétiens, il en résulte l’importance non seulement d’écouter la Parole, mais aussi de se laisser transformer par elle.  Cette écoute doit se faire à la fois dans la vie personnelle et dans la vie de l’Église. 

    La Parole de Dieu dans la vie de l’Église

    Benoît XVI consacre de longues pages à la liturgie, lieu privilégié de l’annonce et de l’écoute de la Parole.  La liturgie de la Parole fait d’ailleurs partie de chaque célébration sacramentelle.  Ici apparaît d’une façon particulière une conviction déjà bien enracinée dans l’Ancien Testament : la Parole de Dieu est vivante et efficace : elle fait ce qu’elle dit.  C’est ce que les théologiens appellent le caractère performatif de la Parole. Le Pape insiste également sur un fait qui, dans nos régions, semble souvent ignoré :  dans la liturgie de la Parole, les textes de la Bible ne peuvent jamais être remplacés par d’autres textes religieux ou profanes.  Ce serait en effet méconnaître le caractère unique et sacré des textes inspirés.
    Le lien entre la Parole et le sacrement apparaît d’une façon particulière dans l’Eucharistie.  Benoît XVI illustre ce lien à partir du récit des disciples d’Emmaüs : sur le chemin, Jésus leur ouvre l’intelligence en leur expliquant, à partir de Moïse et des Prophètes, ce qui disent les Écritures (l’Ancien Testament) à son sujet.  Ensuite seulement, à travers le geste de la fraction du pain, il leur ouvre les yeux de sorte qu’ils le reconnaissent.  Le Pape conclut :    la Parole de Dieu se fait chair sacramentelle dans l'événement eucharistique. L'Eucharistie nous ouvre à l'intelligence de la Sainte Écriture, comme la Sainte Écriture illumine et explique à son tour le Mystère eucharistique. (n° 55).

    La Parole de Dieu dans la prière personnelle

    La Parole de Dieu est à la base de toute spiritualité chrétienne authentique.  Benoît XVI insiste dès lors sur l’approche priante du texte sacré comme élément fondamental de la vie spirituelle de tout croyant.  A l’exemple de Marie, le chrétien doit être à l’écoute de la Parole de Dieu, ce qui demande non seulement une lecture attentive, mais également le silence pour la laisser entrer en nous afin qu’elle nous transforme.  Le Pape recommande vivement aux fidèles la méthode déjà pratiquée par les Pères de l’Église et les grands auteurs spirituels du Moyen Âge : la lectio divina, à laquelle nous consacrons un article à part.  Toutefois, cette lecture ne doit pas se faire de manière individualiste, mais dans la communion de l’Église.  L’écoute quotidienne de la Parole dans la prière personnelle doit se faire dans la communion de toute l’Église ;  c’est ainsi que le chrétien se gardera des interprétations hasardeuses ou fondamentalistes qui n’édifient pas la foi.
    Pour conclure, laissons la parole au Pape.
     En conséquence, notre temps doit être toujours davantage le temps d'une nouvelle écoute de la Parole de Dieu et d'une Nouvelle Évangélisation. Redécouvrir le caractère central de la Parole divine dans la vie chrétienne nous fait retrouver aussi le sens le plus profond de ce que le Pape Jean-Paul II a rappelé avec force: continuer la missio ad gentes et entreprendre avec toutes les forces la Nouvelle Évangélisation, surtout dans les pays où l'Évangile a été oublié ou souffre de l'indifférence du plus grand nombre en raison d'un sécularisme diffus. Que l'Esprit Saint éveille chez les hommes la faim et la soif de la Parole de Dieu et suscite de zélés messagers et témoins de l'Évangile !  (n°122).

Abbé Bruno JACOBS