Celse et la polémique anti-chrétienne

De Ebior
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L'auteur

La première polémique antichrétienne fut l'oeuvre d'un philosophe éclectique, sans doute platonicien et épicurien, du nom de Celse qui vécut à Rome sous l'empereur Marc-Aurèle. C'est peut-être le même personnage, auteur d'un livre contre la magie, auquel l'écrivain Lucien dédia, vers 180, un traité. En tout cas, vers 178, Celse composa en grec l'ouvrage AlhqhV LogoV , leDiscours Véritable c'est-à-dire Exposé de la Vérité, dont voici le contenu :

  • critique du christianisme par les juifs
  • critique de l'apologétique des juifs et des chrétiens
  • critique des livres saints des deux religions à la lumière des sages de la Grèce et des autres traditions antiques
  • critique de l'attitude des chrétiens envers l'empire

Celse reproche aux chrétiens de professer une foi nouvelle s'opposant à la sagesse antique et ne reposant sur aucune base rationnelle : en particulier, pour lui, l'incarnation du Christ contredit la transcendance divine. Il connaît des passages de la Bible et se sert sans doute d'un ouvrage juif antichrétien antérieur.

Le texte

Le Discours Véritable est perdu mais entre 246 et 249, le savant alexandrin Origène en rédigea une réfutation intitulée Contra Celsum en citant abondamment l'ouvrage et en répondant à chaque argument. L'introduction d'Origène mérite d'être citée car elle est toujours d'actualité :

" Jésus attaqué et calomnié garda le silence. Encore aujourd'hui on le calomnie et on l'attaque et il se défend simplement par la vie et la conduite de ses vrais disciples, ce qui est la meilleure manière de confondre ses accusateurs. Il faudrait plaindre celui dont la foi pourrait être ébranlée par les discours de Celse ou d'autres semblables, et qui n'aurait pas assez, pour se défendre et s'affermir, de l'Esprit saint du Christ qui habite en nous. ".

Une reconstitution de plus de trois quarts de l'ensemble de l'ouvrage a pu être réalisée. La traduction qui suit est celle de Louis ROUGIER, publiée aux éditions J.J. Pauvert en 1965 ; les numéros et les en-têtes de page en italique sont conservés.

Celse vient de parler des juifs et de Moïse en particulier 

6. .... Et, dans ces derniers temps, les Chrétiens ont trouvé parmi les Juifs un nouveau Moïse qui les a séduits mieux encore. Il passe auprès d'eux pour le fils de Dieu et il est l'auteur de leur nouvelle doctrine. Il a rassemblé autour de lui, sans choix, un ramas de gens simples, perdus de mœurs et grossiers, qui constituent la clientèle ordinaire des charlatans et des imposteurs, de sorte que la gent qui s'est donnée à cette doctrine permet déjà d'apprécier quel crédit il convient de lui accorder... 

 critique du Christianisme du point de vue du Judaïsme : Celse met en scène un Juif qui prend directement Jésus à partie et conteste son origine divine.

7. Tu as commencé par te fabriquer une filiation fabuleuse, en prétendant que tu devais ta naissance à une vierge. En réalité, tu es originaire d'un petit hameau de la Judée, fils d'une pauvre campagnarde qui vivait de son travail. Celle-ci, convaincue d'adultère avec un soldat Panthère, fut chassée par son mari, charpentier de son état. Expulsée de la sorte et errant çà et là ignominieusement, elle te mit au monde en secret. Plus tard, contraint par le dénuement à t'expatrier, tu te rendis en Égypte, y louas tes bras pour un salaire, et là, ayant appris quelques uns de ces pouvoirs magiques dont se targuent les Égyptiens, tu revins dans ton pays, et, enflé des merveilleux effets que tu savais produire, tu te proclamas Dieu. 

A comparer avec les affirmations du Talmud sur l'origine bâtarde de Jésus.

8. Serait-ce par hasard que ta mère eût été belle au point que Dieu, dont la nature pourtant ne souffre pas qu'il s'abaisse à aimer les simples mortelles, voulut jouir de ses embrassements ? Mais il répugne à Dieu qu'il ait aimé une femme sans fortune ni naissance royale comme ta mère, car personne, même ses voisins, ne la connaissait. Et, lorsque le charpentier se prit de haine pour elle et la chassa, ni la puissance divine ni le Logos, habile à persuader, ne put la sauvegarder d'un pareil affront. Il n'y a rien là qui fasse pressentir le Royaume de Dieu.

9. Il est vrai que, lors de ton baptême par Jean dans le Jourdain, tu allègues qu'à ce moment précis une ombre d'oiseau descendit sur toi du haut des airs et qu'une voix céleste te salua du nom de Fils de Dieu. Mais quel témoin digne de créance a vu ce fantôme ailé ; qui a ouï cette céleste voix qui te saluait du nom Fils de Dieu, qui, si ce n'est toi et, s'il faut t'en croire, un de ceux qui ont été châtiés avec toi ? (...)

11. Tu racontes que des Chaldéens, ne pouvant se tenir à l'annonce de ta naissance, se mirent en route pour venir t'adorer comme Dieu, alors que tu étais encore au berceau ; qu'ils annoncèrent la nouvelle à Hérode le Tétrarque, et que celui-ci, dans la crainte que, devenu grand, tu n'usurpasses son trône, fit égorger tous les enfants du même âge pour te faire périr à coup sûr. Mais, si Hérode a fait cela mû par la crainte que plus tard tu ne prisses sa place, pourquoi, arrivé à l'âge d'homme, n'as-tu pas régné ? Pourquoi te vit-on alors, toi, le Fils de Dieu, vagabond de malheur, ployé sous la frayeur, désemparé, courant le pays avec tes dix ou onze acolytes ramassés dans la lie du peuple, parmi des publicains et des mariniers sans aveu, et gagnant honteusement une précaire subsistance ? Pourquoi fallut-il qu'on t'emportât en Égypte ? Pour te sauver de l'extermination par l'épée?

Mais un Dieu ne peut craindre la mort. Un ange vint tout exprès du ciel t'ordonner à toi et à tes parents de fuir. Le grand Dieu, qui avait déjà pris la peine d'envoyer deux anges pour toi, ne pouvait-il donc préserver son propre fils dans son propre pays ? Aux vieilles légendes qui racontent la naissance divine de Persée, d'Amphion, d'Éaque, de Minos, nous n'ajoutons plus foi aujourd'hui. Encore sauvent-elles au moins la vraisemblance, en ce qu'elles attribuent à ces personnages des actions vraiment grandes, admirables et utiles aux hommes. Mais toi, qu'as tu dis ou qu'as-tu fait de si merveilleux ? Dans le Temple, l'insistance des Juifs n'a pu t'arracher un seul signe qui eût manifesté que tu étais vraiment le Fils de Dieu.

12. On rapporte, il est vrai, et on enfle à plaisir maints prodiges surprenants que tu as opérés, guérisons miraculeuses, multiplication de pains et autres choses semblables. Mais ce sont là des tours d'adresse qu'accomplissent couramment les magiciens ambulants sans qu'on pense pour cela à les regarder comme fils de Dieu.

Celse imagine que le Juif s'adresse alors aux Chrétiens : raisons qui empêchent de reconnaître en Jésus le Fils de Dieu

15.... Il a subi parmi nous la juste rétribution de ses crimes. Ce qu'il vous a débité avec outrecuidance de la résurrection, du jugement (dernier), des récompenses et des peines réservées aux méchants, ne sont que vieilles sornettes qui courent dans nos livres et sont depuis longtemps considérées comme surannées. (...)

16. ... Mais comment recevoir pour Dieu celui qui, entre autres griefs qu'on lui adressait, ne fit rien de ce qu'il avait promis ? Qui, convaincu, jugé, condamné au supplice, se sauva honteusement et fut pris grâce à la trahison de ceux là même qu'il appelait ses disciples ? Était-ce d'un Dieu de se laisser lier, emmener comme un criminel ? Bien moins encore convenait-il qu'il fût abandonné, trahi par ses familiers, qui le suivaient comme un maître et voyaient en lui le Messie, Fils et envoyé du grand Dieu.

17. On sait comment il a fini, la défection des siens, la condamnation, les sévices, les outrages et les douleurs de son supplice. Ce sont là des faits avérés, qu'on ne saurait déguiser, et vous n'irez pas jusqu'à soutenir que ces épreuves n'ont été qu'une vaine apparence aux yeux des impies, et qu'en réalité il n'a pas souffert. Vous avouez ingénument qu'il a souffert en effet. Mais l'imagination de ses disciples a trouvé une adroite défaite : il avait prévu lui-même et prédit tout ce qui lui est arrivé. La belle justification ! C'est comme si, pour prouver qu'un homme est juste, on établissait qu'il a commis des injustices ; pour prouver qu'il est irréprochable, on montrait qu'il a versé le sang ; pour prouver qu'il est immortel, on témoignait qu'il est mort, en ajoutant qu'il avait prédit tout cela.

19. Que si ce qui est advenu est arrivé parce qu'il l'a bien voulu, si c'est pour obéir à son père qu'il a enduré d'être supplicié, il est clair que cet accident, affectant un Dieu qui s'y soumet librement et de propos délibéré, n'a pu lui causer ni douleur ni peine. Pourquoi pousse-t-il alors des plaintes et des gémissements et prie-t-il que le dénouement qui l'effraie lui soit épargné : O mon père, s'il se peut, que ce calice s'éloigne de moi !

20. La vérité est que tous ces prétendus faits ne sont que des récits que vos maîtres et vous-mêmes avez fabriqués, sans parvenir seulement à donner à vos mensonges une teinte de vraisemblance, bien qu'il soit de toute notoriété que plusieurs parmi vous, semblables à des gens pris de vin qui portent la main sur eux-mêmes, ont remanié à leur guise, trois ou quatre fois et plus encore, le texte primitif de l'Évangile, afin de réfuter ce qu'on vous objecte  

28 ... Il conviendrait préalablement d'examiner si jamais homme, réellement mort, est ressuscité avec le même corps. Pourquoi traiter les aventures des autres de fables sans vraisemblance, comme si l'issue de votre tragédie avait bien meilleur air et était plus croyable, avec le cri que votre Jésus jeta du haut du poteau en expirant, le tremblement de terre et les ténèbres ? Vivant, il n'avait rien pu faire pour lui-même; mort, dites-vous, il ressuscita et montra les stigmates de son supplice, les trous de ses mains. Mais qui a vu tout cela ? Une femme en transports, à ce que vous avouez vous-mêmes, et quelqu'autre ensorcelé de la même sorte, soit que le prétendu témoin ait rêvé ce que lui suggérait son esprit troublé; soit que son imagination abusée ait donné corps à ses désirs, comme il arrive si souvent; soit plutôt qu'il ait voulu frapper l'esprit des hommes par un récit si merveilleux et, au prix de cette imposture, fournir une matière à ses confrères en charlatanisme. (...) Si Jésus voulait faire éclater réellement sa qualité de Dieu, il fallait qu'il se montrât à ses ennemis, au juge qui l'avait condamné, à tout le monde. Car, puisqu'il avait passé par la mort et au surplus qu'il était Dieu, comme vous le prétendez, il n'avait rien à redouter de personne; et ce n'était pas apparemment pour qu'il cachât son identité qu'il avait été envoyé. (...) Son supplice a eu d'innombrables témoins; sa résurrection n'en a qu'un seul. C'est le contraire qui eût dû avoir lieu.

62.... Ils (les juifs) racontent encore qu'au tombeau de leur maître, il en ( les anges) vint, les uns disent un , les autres deux, pour annoncer aux femmes qu'il était ressuscité ; car le Fils de Dieu, à ce qu'il paraît, n'avait pas la force de soulever lui seul la pierre de son tombeau ; mais il avait besoin de renfort pour la déplacer. Il vint encore un ange auprès du charpentier, au sujet de la grossesse de Marie, et pareillement un autre pour les avertir d'avoir à emporter l'enfant au plus vite et à prendre la fuite. Et qu'est-il besoin de rechercher ici et de dénombrer tous ceux qui furent, dit-on, envoyés à Moïse et à d'autres ? Or si d'autres ont été envoyés, il suit que Jésus l'a été lui aussi.

Commentaires

Conformément au but de cette série, nous nous intéresserons surtout aux informations historiques fournies sur la vie du Christ et non sur la pertinence des arguments avancés par Celse. Pour cela une autre étude serait nécessaire, s'appuyant sur des extraits plus larges et plus nombreux.

Affirmations reprises des évangiles

  • naissance d'une vierge épouse d'un charpentier
  • adoration au berceau par des Chaldéens (= les mages)
  • Hérode fait égorger tous les enfants du même âge
  • fuite en Égypte sur l'ordre d'un ange pour échapper à la mort
  • baptême par Jean dans le Jourdain , avec un oiseau et une voix venant du ciel
  • titre de Fils de Dieu
  • autour du Christ, une dizaine de gens simples et non fiables, dont des publicains et des marins
  • nombreux prodiges accomplis : guérisons miraculeuses, multiplication des pains
  • trahison et abandon par les siens
  • jugement et condamnation au supplice sur un poteau
  • lors de sa mort, autres prodiges : tremblement de terre et ténèbres
  • résurrection et marques du supplice sur les mains
  • apparition d'anges : auprès du charpentier, près du tombeau (un ou deux)

Affirmations antichrétiennes provenant d'une autre source

  • naissance de l'adultère d'une femme pauvre et inconnue de Judée avec un soldat du nom de Panthère. Chassée par son mari, elle met au monde son enfant en secret. Ces calomnies se retrouvent dans la littérature juive. (Talmud)
  • pour pouvoir vivre, déplacement en Égypte pour y travailler et y apprendre la magie. Celse juxtapose deux traditions puisqu'il donne deux explications de la fuite en Égypte
  • fuite après sa condamnation.

Remarques

Celse ne croit naturellement pas à la naissance divine du Christ ou à sa résurrection 
et il développe ses arguments en ce sens . Mais il ne met en doute ni l'existence 
d'un homme dont il ne cite pas le nom ni les principaux événements de sa vie 
(massacre commis par Hérode, baptême par Jean dans le Jourdain , vie publique avec 
des disciples, condamnation au supplice) ni même certains prodiges expliqués par la 
magie : guérisons, multiplication des pains