Avant-propos géographique du Nouveau Testament

De Ebior
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AVANT-PROPOS  GÉOGRAPHIQUE DU NOUVEAU TESTAMENT

Jésus-Christ, deux termes si souvent réunis que leur signification propre s’estompe le plus souvent :

  1. Jésus, « Dieu sauve », un nom porté par de nombreux juifs en Judée à l’époque romaine (notion historique)
  2. Christ, « celui qui a reçu l’onction », soit le Messie, titre donné à l’Envoyé de Dieu qui doit sauver Israël (notion théologique)


Jésus-Christ : ces deux termes réunis expriment la continuité entre le « Jésus de l’histoire » et « le Christ de la foi », continuité affirmée

  • par saint Paul qui identifie le Jésus d’avant Pâques au Seigneur ressuscité (1Co  9,14 : « De même aussi le Seigneur a ordonné à ceux qui annoncent l'Évangile de vivre de l'Évangile. « ) 
  • par le concile de Nicée-Constantinople qui, dans la personne du Christ, mêle les affirmations historiques en gras   et théologiques en italique

Nous croyons en un seul Seigneur, Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Lumière issue de la Lumière, vrai Dieu issu du vrai Dieu, engendré et non créé, consubstantiel au Père et par qui tout a été fait ; qui pour nous les hommes et pour notre salut, est descendu des cieux et s'est incarné du Saint-Esprit et de la vierge Marie et s'est fait homme. Il a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate, il a souffert et il a été mis au tombeau ; il est ressuscité des morts le troisième jour, conformément aux Écritures; il est monté au Ciel où il siège à la droite du Père. De là, il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts, et son règne n'aura pas de fin.

  • par la tradition bimillénaire de l’Église (Jean-Paul II, Tertio millenio adveniente, « …les écrits du Nouveau Testament qui, tout en étant des documents de croyants, n’en sont pas moins dignes de foi dans tout ce qu’ils rapportent, même comme témoignages historiques »).


Or, depuis plus d’un siècle, l’exégèse classique tend à dissocier le Jésus de l’histoire, qui n’est rien ou presque rien, du Christ de la foi, considéré comme une pure construction ultérieure de croyants traités comme des rêveurs.


Cependant le commencement de la foi chrétienne réside dans le Jésus historique, dans sa naissance, sa prédication, ses miracles, sa conscience filiale et messianique, sa mort sur la Croix et sa Résurrection. Aussi la connaissance du milieu géographique, historique, chronologique, religieux, économique, social et linguistique où a vécu Jésus doit précéder l’étude littéraire des livres du Nouveau Testament et la recherche de leur signification théologique. Cette étude du milieu doit constituer la base objective qui servira de tremplin aux interprétations postérieures et permettra de vérifier si les indications fournies par les textes sont bien des créations ultérieures ou de simples affabulations comme on l’affirme souvent. Existe-t-il, dans des domaines vérifiables, de nombreux anachronismes, inventions et erreurs flagrantes, en particulier dans les Evangiles ? Répondre à cette question  permettra de mieux situer la potée des textes et la validité des hypothèses exégétiques. 


Cependant, force est de constater que la plupart des bibles et des manuels bibliques négligent ou même ignorent ces considérations, jugées trop communes ou même inutiles pour le salut de chacun.

Les considérations géographiques figurent certainement parmi les plus oubliées de toutes :

  • pratiquement aucune bible francophone, à l’exception de la Bible de Thompson, ne comporte d’index géographique
  • pratiquement aucune bible francophone, à l’exception de la Bible de Crampon, ne comporte de notices géographiques. C’est malheureusement le cas de la Nouvelle Bible de Segond qui contient pourtant un remarquable  glossaire   de 85 pages. Un recueil de cartes ne se suffit pas à lui-même, il doit être accompagné d'explications et de schémas complémentaires.

De plus, les cartes proposées diffèrent  souvent entre elles, en particulier dans la présentation du statut des villes de la côte philistine, souvent incluses à tort dans la province de Judée. C’est le cas en particulier des cartes  présentées par OTTAVIANO, par BROWN, par la TOB dans son édition du Nouveau Testament de 1976 (mais non dans l'édition complète de 1996) et par la BIBLE DE JERUSALEM, dans ses éditions de 1974 et même de 1998 . Ces informations sont pourtant parfaitement connues des historiens de l'antiquité mais certains biblistes vivent en vase clos, sans contact avec les spécialistes des autres disciplines.

De plus, les notes géographiques de la TOB dans son édition du Nouveau Testament présentent, elles aussi, de nombreuses imprécisions de détail et même des erreurs

La situation est pire encore dans les manuels bibliques de langue française:


A.GEORGE et P.GRELOT, Introduction à la Bible, Tome III : Le Nouveau Testament, volume 1 : Au seuil de l'ère chrétienne, Desclée, 1976 :

une présentation ridiculement courte du cadre géographique de l'empire romain et aucune présentation de la géographie de la Terre Sainte


Raymond. E.BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament ? , Bayard, 1997 (édition anglaise) et 2000 (édition française)

une présentation géographique de la Terre Sainte en une seule page, une carte incorrecte de la Palestine et de nombreuses notes géographiques en bas de page, souvent hypothétiques, inexactes ou mêmes fausses  


Daniel MARGUERAT, Introduction au Nouveau Testament, Labor et Fides, 2001

Aucune présentation géographique aussi bien de l'empire romain que de la Terre Sainte. Ces informations sont volontairement sacrifiées 

C'est pour réparer ces oublis et pour permettre au lecteur de se forger une opinion par lui-même que le site EBIOR propose sur ce thème  :

  1. une présentation des principales controverses géographiques sur le Nouveau Testament 
  2. un aperçu de la géographie physique de la Terre Sainte
  3. un glossaire géographique proprement dit présentant 75 entrées
  4. un glossaire topographique de la ville de Jérusalem présentant 20 entrées
  5. un récapitulatif des différents voyages de Jésus à travers la Terre Sainte

En sens opposé, le volume collectif "Le monde où vivait Jésus", paru aux Éditions du Cerf en 1998 présente une des meilleurs présentation géographiques sur la Terre Sainte qui soit facilement disponible en français.<span style="font-style: italic; " />

Bibliographie

La Bible THOMPSON, Supplément archéologique ,Vida, 2000 <span style="font-style: italic; " />
Atlas biblique du voyageur en Terre saintePrions en Eglise, hors série 2007  
Atlas géopolitique d'Israël, Autrement, 2008
Terre Sainte, Guide Gallimard
Catherine ARNOULD-BEHAR, La Palestine à l'époque romaine, Les Belles Lettres, 2007 
Michael AVI-YONAH, Guide illustré de la reconstitution de la Jérusalem antiquePalphot, Israël
Sami AWWAD, Cette terre de Dieu, Jérusalem et Namur
 Carte des pèlerins de la Terre SainteMinistère du tourisme d'Israël, Jérusalem
Raymond. E.BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Bayard, 1997 (édition anglaise) et 2000 (édition française)
Hugues COUSIN (direction), Le monde où vivait Jésus, Cerf, 1998
Jacqueline GENOT-BISMUTH, Jérusalem ressuscitée, F.X. de Guibert - Albin Michel, 1992 
Guide de Terre Sainte, Routes bibliques, Fayard, 1998
René LAURENTIN, Vie authentique de Jésus-Christ, Fayard, 1996
Victor LOUPAN et Alain NOEL, Enquête sur la mort de Jésus, Presses de la Renaissance, 2005
Piero OTTAVIANO, Les fondements du christianisme, Salvator, 2009
André PAUL, Le monde des Juifs à l'époque de JésusPetite Bibliothèque des sciences bibliques, Desclée, 1984
Bargil PIXNER o.s.b, Avec Jésus à travers la Galilée d'après le Cinquième Évangile, Corazin, Israël, 1992 
Bargil PIXNER, o.s.b, Avec Jésus à Jérusalem : ses premiers et derniers jours en Judée, Corazin, Israël, 2005 
Jacques THOMAS, Jérusalem traditionnelle et initiatique, Jean-Cyrille GODEFROID, 1995
A.TRICOT, Petit dictionnaire du Nouveau Testament, dans La Bible de Crampon,Desclée, 1960 

Récapitulatif et controverses

Au point de vue de la géographique physique et humaine , les évangiles mentionnent 24 toponymes marqués par (*) dont la localisation est assurée et qui se révèlent être des cités ou des localités ayant une structure  propre.  Seuls, trois villages seulement (Béthanie, Cana, Emmaüs), marqués par (?), sont l'objet d'une double localisation possible. Aucune ville ni aucun village ne sont imaginaires, à coup sur.  Aussi, les noms inconnus comme Dalmanoutha et Magadan  ne doivent pas renvoyer à des localités mais à de simples lieux-dits .  
Les mêmes constatations peuvent être étendues aux Actes des Apôtres.

Le miracle du possédé et des porcs

La localisation du miracle d’un possédé en pays païen, dont les démons entrent dans les corps de porcs, constitue le problème  géographique le plus complexe des évangiles synoptiques, bien qu’il soit d’une importance secondaire.

Les différentes textes existants 

Voici une comparaison des  textes repris dans la plupart des traductions  françaises :

Mc 5,1 il s’agit d’un seul possédé dans « le pays des Géraséniens «  , en grec   Γερασηνων <span style="background-color: yellow; " />
Mt 8,28 il s’agit de deux possédés dans « le pays des Gadaréniens » , en grec   Γαδαρηνων 
Lc 8,26 il s’agit d’un seul possédé dans « le pays des Géraséniens «, en grec  Γεργεσηνων

De plus, l’ancienne traduction SEGOND (mais non la COLOMBE ni la NOUVELLE SEGOND)  emploie également l’expression « pays des Gadaréniens » pour le texte de Marc alors que la TOB utilise l’expression « pays des Gergéséniens » pour le texte de Luc. La BIBLE DE JERUSALEM  indique en note que les autres deux autres expressions existent également.
En réalité, cette diversité provient des différents textes grecs disponibles. Le Greek New Testament (GNT) nous informe que les trois expressions se retrouvent également dans les trois évangiles synoptiques selon les principaux témoins du texte, indiqués ci-dessous par leurs sigles habituels. 
Mc 5,1   Géraséniens    75  À* B   D   it  vg  
       Gadaréniens   A   Byz   f13 
             Gergéséniens  À2 Q f1 Origène

Mt 8,28  Gadaréniens  B Q
             Géraséniens  À2 Byz  W f1 f13
             Gergéséniens   it  vg  

Lc 8,26  Géraséniens   B   D   it  vg 
            Gergéséniens  À  Q f1
            Gadaréniens    A  W f13  
Les sigles vg, it et Byz correspondent  respectivement à la Vulgate (nouvelle traduction latine), à la Vetus Itala (ancienne traduction latine) et au texte reçu byzantin alors que le caractère * désigne la leçon originale et le chiffre 2 en exposant, une correction ultérieure. 

Remarquons que la Vulgate (traduction latine) privilégie systématiquement la leçon « Géraséniens » dans tous les cas alors que les manuscrits de la famille f1 et le codex Sinaïticus (sigle À ), après correction, privilégient la leçon « Gergéséniens »  et que les manuscrits du texte reçu byzantin privilégient la leçon « Gadaréniens ».
Les différentes traductions françaises ne font que reprendre les choix du GNT, soulignés ci-dessus et basés essentiellement sur l’ancienneté du codex Vaticanus (sigle B  – daté du IV ème siècle) et du papyrus  P 75, daté du début  du troisième siècle. 
En tout état de cause, il est difficile de retrouver le texte original et la confusion entre les trois termes a du s’établir très tôt. D’ailleurs, le GNT accorde à ces trois passages la note critique ‘C’ , signifiant qu’il s’agit d’un problème textuel compliqué et difficile à résoudre.   

Les localisations géographiques

De toute manière, il s’agit d’une région située 
  1. « de l’autre côté » [ du lac de Génésareth, par rapport au Jourdain ] soit sur la rive est (Mt 8 ,28 et Mc 5,1), 
  2. en face de la Galilée (Lc 8,26)
  3. qui  présentait un escarpement tombant dans le lac (Mt 8,32 et Mc 5,13) ainsi que des montagnes ou des collines, ορος en grec (Mc 5,5 et Lc 8,32 ) 
  4. qui comportait également une ville, soit le terme technique de polis, πολις en grec (Mt 8,33 ; Mc 5,14 ; Lc 8,27) qui correspond à une communauté dotée d'institutions propres . Celle-ci  étend son autorité sur un territoire qui lui appartient , χωρα en grec ( Mc 5,1 ; Mt 8,28 et Lc  8,26) et qui comprend  des hameaux ou des fermes ,αγρος en grec (Mc 5,14 ; Lc 8,34).  
  5. en Décapole (Mc 5,20), confédération autonome de villes (πολεις  à majorité païenne).
Où situer géographiquement cette région ?
Le pays de « Géraséniens » pourrait renvoyer à Gerasa, ville de la Décapole située à plus de 50 km au sud-est du lac de Galilée. Mais la distance parait trop grande. Aussi, certains auteurs comme PIXNER, suivant Origène supposent qu’il s’agit du pays des « Gergésites », en hébreu Gerashim, peuple expulsé d’Israël par Josué (Jos 3,10). Dans ce cas, le terme grec serait une transposition de l’hébreu et ne renverrait pas à un lieu.

Le pays « des Gadaréniens » renvoie certainement à Gadara, ville de la Décapole située au sud-est du lac de Galilée. Contrairement à ce qu’il est souvent affirmé, la distance n’est pas trop grande car le terme grec utilisé πολις, désigne une ville possédant ses propres institutions et étendant son contrôle sur un territoire plus ou moins étendu ( chora χωρα), comprenant des villages, des fermes (agros αγροσ), des cultures et des bois. 
Toutefois la ville de la Décapole la plus proche de la Galilée n’est pas Gadara mais Hippos, ville située sur un plateau basaltique dominant le lac et entourée de nombreuses bourgades dont, située au nord, le petit village de pêche deKursi. C’est là que la Tradition, affirmée par saint Jérôme et confirmée par les fouilles archéologiques, situe l’épisode du possédé et des porcs.
Il ne faut pas oublier que cette région était peu connue des évangélistes qui ont pu utiliser une expression courante et non précise, Gadara étant peut-être plus importante ou plus connue qu’Hippos.
    
Enfin, le pays des « Gergéséniens »  pourrait bien être une conjecture d’Origène dans son Commentaire de Jean, reprise par la suite, mentionnant une hypothétique commune de  Gergesa, qui pourrait bien être Kursi.
En tout cas, la disparition de la Décapole au profit de la nouvelle province d’Arabie créée par l’empereur Trajan au courant du II ème siècle a du rendre cette référence géographique obscure pour les chrétiens postérieurs. Elle le reste toujours à l’heure actuelle, même s’il s’agit certainement de la rive est du lac de Galilée. 

Les erreurs géographiques

La Décapole

De nombreux auteurs insistent sur les erreurs géographiques des évangélistes, en supposant que ceux-ci connaissent mal la région. 
Citons, comme exemple, les affirmations de Piero OTTAVIANO, Les fondements du christianisme, p. 433 : « Le voyage de Jésus décrit chez Mc 7,31 est plutôt étrange. « Sortant du territoire de Tyr, il vint, par Sidon, vers la mer de Galilée, en plein territoire de la Décapole ». Cela laisse penser, de toute évidence, à une mauvaise connaissance de la géographie de la part de Marc. »

OTTAVIANO appuie ses déclarations sur la carte ci-contre  où les villes de Tyr et de Sidon apparaissent fort éloignées de la Décapole.

De même, BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament, note 85, p.201 : « Mc 7,31 décrit un voyage de Tyr par Sidon, vers la mer de Galilée en traversant la Décapole. En fait, on va du sud-est de Tyr à la mer de Galilée et Sidon est au nord de Tyr. » La carte, présentée à la page 33 du même ouvrage, correspond à la précédente.

Or ces deux cartes sont incorrectes et servent de base erronée aux raisonnements précédents car la Décapoles’étendait beaucoup plus au nord du Yarmuk, avec les cités de Raphana, de Dion (toutes les deux de localisation incertaine), de Canatha et même de Damas.

Selon PLINE l’Ancien « entre les villes [de la Décapole] et autour d’elles sont des tétrarchies, dont chacune est comme un pays et forme un royaume : la Trachonitis, la Panéade… ». Il y a donc superposition partielle entre les territoires de la tétrarchie de Philippe et ceux des cités de la Décapole, dont nous ignorons d’ailleurs l’étendue.
De plus pourquoi BROWN refuse-t-il le passage par Sidon et par le Nord ? La distance à parcourir n’est pas invraisemblable selon les habitudes de l’époque. 
Il est gênant de reprocher à d’autres des erreurs que l’on commet soi-même par méconnaissance de la géographie antique. Les exégètes comme le public doivent savoir que, dans le détail, toutes les cartes modernes de la Palestine du Nouveau Testament sont soit erronées, soit incomplètes, étant basées sur des connaissances lacunaires. Ce n’est pas gênant en pratique, à condition de ne pas trop s’y fier pour en tirer des conclusions hâtives. 

Marc, qui ne connaissait pas très bien non plus la Décapole, est resté, à raison, prudent dans ses affirmations en désignant par territoire de la Décapole, l’ensemble des régions païennes du nord-est traversées par Jésus. Suivant l’usage ordinaire des populations, il donne la préférence à un découpage basé sur les cités plutôt que sur les provinces ; c’est ainsi qu’il parle des cités de Tyr et de Sidon, non de la Phénicie. Comment aurait-il pu faire autrement, sans tomber dans une énumération de différentes régions, à la fois inutile et hypothétique ?

Voici un bon exemple de problème créé de toute pièce, sans vérification préalable et sans véritable intérêt : l’imprécision des détails reste valable pour tous, auteurs anciens ou modernes.


La Judée au-delà du Jourdain


Un autre point de discussion concerne l'expression "La Judée au-delà du Jourdain" utilisée en Mt 19,1 et Mc 10,1. Cette expression est souvent comprise comme « une désignation géographique imprécise » (cf. TOB, Nouveau Testament, note j, page 95) qui désignerait en fait la Pérée (cf. TOB, Nouveau Testament, note f, page 1605). En réalité, il s’agit d’une simple hypothèse exégétique, fondée sur pratiquement aucun argument mais répétée systématiquement et sans vérification. 
 
  • la Pérée n’apparait pas sous ce nom dans le Nouveau Testament et n’est nulle part appelée la « Judée au-delà du Jourdain ». Le texte des évangiles est compris, à tort, comme signifiant "en Tranjordanie" ou '"au-delà de la Judée".
  • Cette région peu peuplée faisait partie, avec la Galilée, des tétrarchies soumises à l’autorité d’Hérode Antipas qui avait fait exécuter Jean le Baptiste. Or Jésus y déploie  une activité tranquille, entouré d’une foule enthousiaste (Mt 19,2 : « beaucoup d’hommes le suivirent » ; Mc 10,1 ), à laquelle Jean fait également allusion ( Jn 10,40-42). Une telle liberté d’action est invraisemblable en Pérée qui de plus est une région peu peuplée avec une faible présence juive.
  • après avoir annoncé la mort de Lazare (Jn 11,14), Jésus partit de cette région et, quand il arriva, il trouva Lazare gisant depuis quatre jours dans le tombeau (Jn 11,17). Or la Pérée est bien plus proche que cela de Béthanie.
    Une autre explication est préférable, celle d’une autre région, la Batanée
  • soumise à l’autorité de Philippe, l’autre tétrarque, qui n’était pas hostile à Jésus
  • peuplée d’une importante population juive, de retour depuis un siècle de l’exil à Babylone d’où le terme de Judée au sens « de pays des juifs » (cf. TOB, Nouveau Testament, note m, page 189 qui l’affirme explicitement ) et non « de région autour de Jérusalem », sens originel et restreint de cette expression
  • située à quatre jours de marche de Jérusalem, en passant par la dépression du Jourdain.

Les lieux où Jean baptisait

Au Jourdain, traditionnellement près de Jéricho , (Mt 3,5-6 ; Mc 1,5; Lc 3,3) là où Elie partit vers le ciel sur un char de feu (1R 2,7) et où Jésus fut baptisé.
A Aenon, près de Salim (Jn 3,23) soit au nord de Sichem en Samarie soit, selon une tradition byzantine, au sud de Scythopolis, une des villes de la Décapole. C'est là que Jean le Baptiste fut arrêté et c'est à Mehola, pas très loin, qu'Elie jeta son manteau sur son successeur Elisée (r 19,16.19)
Béthanie  au-delà du Jourdain  (Jn 1,28) en Batanée (et non en Pérée comme affirmé habituellement) au bord du torrent Kerit, en grec le Yarmuk, où Elie fut nourri par un corbeau (1R 17,3) .
Remarquons que Jean se déplaçait d'un endroit à l'autre du Jourdain (Lc 3,3) dans des lieux se rattachant à l'histoire d'Elie.

La multiplication des pains

Chacun des évangiles nous en donne un récit différent. Laissons provisoirement de côté toute considération littéraire et théologique pour nous concentrer sur les détails historiques et géographiques.

Mt    14,13-21    foule à pied, lieu désert, aller vers les villages, sur l’herbe, première multiplication, cinq pains et deux poissons, 5000 hommes  

Mt    14,22-34    en barque vers l’autre rive, vent contraire, Jésus dans la montagne puis marche sur les eaux, traversée vers Génésareth

Mt    15,32-39    lieu désert, sept pains, sur la terre, seconde multiplication, 4000 hommes,  en barque vers Magadan

Mc    6,30-44    lieu désert, les gens accourent à pied de toutes les villes, aller vers les hameaux et les villages, sur l’herbe verte, première multiplication, cinq pains et deux poissons, 5000 personnes

Mc    6,45        en barque sur l’autre rive, vers Bethsaïde, vent contraire, Jésus dans la montagne puis marche sur les eaux, traversée vers Génésareth

Mc    8,1-10        lieu désert, seconde multiplication, sept pains, 4000 personnes, en barque vers Dalmanoutha

Mc    8,22        guérison d’un aveugle à Bethsaïde

Lc    9,10-17    du côté de Bethsaïde, aller dans les villages et hameaux, lieu désert, unique multiplication, cinq pains et deux poissons, 5000 personnes

Jn    6,1-15        sur l’autre rive du lac de Galilée, Jésus et la foule dans la montagne, beaucoup d’herbe, unique multiplication, cinq pains et deux poissons, 5000 personnes, navigation sur le lac, vent violent

Jn    6,16-26    en barque vers Capharnaüm sur l’autre rive, distance de 25 à 30 stades sur le lac, Jésus marche sur les eaux, la foule venant de Tibériade se rend près de Capharnaüm de l’autre côté du lac

Une double constatation s’impose :

  • Matthieu et Marc relatent deux multiplication des pains, sans les localiser
  • Luc et Jean relate une seule multiplication des pains, localisée sur la rive est, du côté de Bethsaïde
    De plus Marc souligne en 6,45 que « Jésus oblige ses disciples à le devancer de l’autre côté, vers Bethsaïde » alors que c’est précisément près de cette ville qu’a eu lieu la multiplication des pains selon Luc et Jean. 
    Comment comprendre ces divergences fort nettes ?
    Si on examine les six récits présents dans les quatre évangiles (quatre pour la première multiplication et deux pour la seconde) selon les données objectives présentes dans les textes et non selon le point de vue de la critique littéraire, qui n’y voit que des doublons, soit une seconde version d’un même événement, il est clair que le récit plus précis de Marc  doit servir de base de travail. 

    C’est la conclusion de René LAURENTIN, Vie authentique de Jésus-Christ, II, p. 130-132 qui distingue les deux multiplications en ajoutant « ce n’est pas parce qu’un événement est raconté deux fois qu’il y a nécessairement doublon » et de Bargil PIXNER, Jésus à travers la  Galilée d’après le cinquième évangile, p. 69-74 qui multiplie les observations  de détail : 
  1. lors de la première multiplication, la foule s’est assise sur l’herbe verte (Mc 6,37 ; Jn 6,10) alors que lors de la seconde multiplication, la foule dut s’étendre sur la terre (Mc 8,6).
  2. le vent contraire mentionné en 6,48 est un violent vent d’est soufflant en hiver et au printemps (le « Charkiyé »). La violence de ce vent explique que la barque, se dirigeant vers Bethsaïde (au nord-est) se retrouve à Génésareth (au nord-ouest). « Ce n’est pas un signe de confusion », comme l’affirme, à tort, BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament, note 85, page 201) mais la conséquence naturelle d’un phénomène météorologique. On peut déduire de ces deux indices que la première multiplication a eu lieu au printemps et la seconde en été.
  3. en Mc 6,31-33 la foule en longeant le bord du lac et en suivant du regard la barque où Jésus a pris place, arrive avant lui à l’endroit où Il voulait se reposer. Or la distance entre Capharnaüm, centre de l’activité de Jésus, et Bethsaïde, dépasse les vingt kilomètres, distance trop grande pour qu’une foule à pied prenne une embarcation de vitesse.
  4.  De plus, au printemps, le  Jourdain constitue, par ses crues, un obstacle pratiquement infranchissable à pied.
  5. Ajoutons que l’ordonnance de la foule en Mc 6,40 (« ils s’établirent par tablées, par rangées de cent et de cinquante" ) rappelle l’organisation du peuple de Dieu au désert (Ex 18,21.25 ; Nb 31,14 ; Dt 1,15) : il s’agit donc d’une foule juive rassemblée en terre d’Israël et non d’une foule païenne en terre païenne comme l’affirment des exégètes qui suivent les récits de  Luc et de Jean. 
A<span style="font-family: monospace; " />ussi la tradition judéo-chrétienne apportée par Égérie, pèlerine espagnole qui décrivit son voyage de trois ans dans les pays bibliques entre 383 et 395 situe la première multiplication des cinq pains à l’Heptapegon (les Sept Sources), l’actuelle localité de Tabgha, à environ deux kilomètres à l’ouest de Capharnaüm et sur la rive galiléenne du lac. 
Sous l’autel de l’église de la Multiplication se trouve actuellement encore la pierre où Jésus aurait posé les cinq pains et les deux poissons. 
Dans cette optique, Luc et Jean aurait décrit la première multiplication (même nombre de pains et de personnes) en la situant sur le lieu de la seconde : une colline sur la rive est (Jn 6,1-3), éloignée de toute habitation, dans la région deBethsaïde (Lc 9,10). La meilleure localisation en est la colline de Tell Hadar, à trois kilomètres au nord de Kursi, dans la tétrarchie de Philippe mais à la limite de la Décapole païenne.
D’après Jn 6,18 la distance entre le lieu de la multiplication et le lieu de la marche sur les eaux est de 25 à 30 stades soit 5 à 6 kilomètres. Le lac ayant approximativement cette largeur dans sa partie nord la plus étroite, la barque se trouve donc près du rivage et non au milieu du lac, comme l'affirme la TOB, Nouveau Testament, note q, page 305. Or c’est la distance qui sépare Tell Hadar de Tabgha. Comme Marc parle de la région de Dalmanoutha et Matthieu de la région de Magadan, ces deux derniers toponymes pourraient désigner le lieu d’accostage pour se rendre à Tabgha, qui n’était pas habité à l’époque. Or, d’après les termes grecs utilisés (μέροσ / οριον ) qui sont fort généraux à la différence de χωρα, Magadan et Dalmanoutha ne désignent  pas  des localités habitées comme l’affirme la TOB,Nouveau Testament, note q, page 305 mais de simples lieux-dits sans population. Car c’est ce dernier critère qui est utilisé dans l’antiquité . 

Récapitulation et explication des différents déplacements 

De Capharnaüm à Gennésareth (rive ouest)  avec une traversée ratée vers Bethsaïde: Mt 14,13-39 ; Mc 6,30-45 (première multiplcation des pains)

De Capharnaüm vers Tyr et Sidon : Mt 15,21 – Mc 7,24
En Décapole, sur la rive est, à Tell Hadar : seconde multiplication des pains Mt 15,29 – Mc 7,31-37
De la Décapole (riv est) vers Magadan/Dalmanoutha (rive ouest): Mt 15,38 – Mc 8,10
Vers l’autre rive    : Mt 16,5 – Mc 8,13
De la rive ouest à Bethsaïde (rive est  : Mc 8,22
Vers Césarée de Philippe, au nord : Mc 8,27    

Quelques précisions entre crochets sur le texte de Jean (Jn 6,22-24)
« La foule qui se tenait de l’autre côté [ de la mer de Galilée, ici à Capharnaüm où ont seulement débarqué les disciples] vit qu’il n’avait là d’autre barque qu’une seule et que Jésus n’était pas monté avec ses disciples dans la barque, mais que seuls ses disciples étaient partis [de Bethsaïde]
Mais des barques vinrent de Tibériade [rive ouest] près du lieu où ils avaient mangé du pain [sur la rive est, côté Bethsaïde ]. Quand donc la foule [venant de la rive ouest, côté Tibériade et accostant à la rive est] vit que Jésus n’était pas là, ni ses disciples [sur la rive est] , ils montent dans les barques et reviennent à Capharnaüm chercher Jésus. Ils le trouvent de l’autre côté de la mer [rive ouest] et lui disent : « Rabbi, quand es-tu venu ici ? » 

L’expression « l’autre côté du lac » renvoie à la position par rapport à l’embouchure du Jourdain dans la mer Morte. Ces nombreux déplacements en bateau ont plusieurs causes :
  • l'itinéraire maritime est plus court que l'itinéraire terrestre
  • le Jordain constitue au printemps un obstacle infranchissable à pied
  • la présence à Capharnaüm d'un point de contrôlr tenu par les soldats d'Hérode Antipas empêche tout déplacement important de foule.


Auteur : Fernand LEMOINE 

©  EBIOR, 16/01/2010

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