Les origines païennes supposées de la date du 25 décembre pour la fête de Noël

De Ebior
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Un peu partout s'est répandue l'idée d'une origine païenne de la fête de Noël, christianisée par la suite. Cette conception, est présentée habituellement comme une certitude alors qu'il ne s'agit que d'une hypothèse émise au 18ème siècle (JABLONSKI) et provenant de l'histoire des religions (USENER). Elle se heurte cependant à de nombreuses objections et à une hypothèse concurrente, qui ne sont pas citées en général.
Rappelons les différents éléments de ce dossier fort complexe :


Au niveau des calendriers et des fêtes religieuses

  •  Chez les gréco-romains, le soleil et la lune constituaient les éléments fondamentaux du calendrier, en autre pour la détermination de la durée du mois et de l'année. Par contre, le dieu Hélios ne joua qu'un rôle secondaire dans la mythologie (l'épisode le plus célèbre étant celui de Phaéton qui s'écrasa sur la terre) et ne reçut pas un culte régulier sauf dans l'île de Rhodes dont il était le dieu local. Il y était représenté par la célèbre statue appelée le  Colosse de Rhodes. La même chose peut se dire de la déesse lunaire Selene : c'est l'astre lui-même qui joua un rôle dans la poésie, la magie et le folklore, non la déesse dont le culte est insignifiant.
  •  les Grecs faisaient débuter leur calendrier à des dates différentes selon les cités mais toujours lors d'une nouvelle lune après un équinoxe ou un solstice. Du 8 au 11 Poseidon (novembre -décembre), à Athènes, avaient lieu les représentations dramatiques des Dionysies et du 8 au 11 Gamelion (décembre -janvier) la fête des pressoirs en l'honneur de Dionysos. Mais pas de fête particulière pour le solstice d'hiver.
  •  Sous l'empire, la fête romaine  républicaine de Sol Indiges disparaît presque complètement pour être remplacée par celle de Sol Invictus (« Le Soleil Invaincu ») dont la première mention date de l’an 158.
  •  Les Romains célébraient en décembre les Saturnales, fêtes en l'honneur de Saturne, ancien dieu de l'agriculture, marquées par des remises de cadeaux, de grandes réjouissances et l'usage d'accorder toute licence aux esclaves. Selon l'auteur latin Macrobe (Saturnales, I,10), la fête se déroulait initialement pendant un jour, le XIVème jour avant les Calendes de janvier (= le 17 décembre). Avec César et Auguste, elle dura trois jour, du XVI au XIVème jour avant les Calendes de janvier (= entre le 17 et le 19 décembre). Ensuite, la fête des Saturnales se prolongea parmi le peuple durant sept jours par la célébration des Sigillaires, pendant lesquelles on consacrait de petites figurines en argile offertes à Saturne.

Mais seule une reconstitution intellectuelle moderne, basée sur la coïncidence des dates, relie les Saturnales au solstice d'hiver. D'ailleurs Macrobe (Saturnales, I, 2) les distingue bien : "le jour du solstice, qui suivit immédiatement les fêtes des Saturnales". Remarquons de plus que depuis Jules César, le début de l'année est fixé au 1er janvier et non au solstice d'hiver.

  •  La "théologie solaire" qui ramène tous les dieux païens à une divinité unique ou du moins principale, le Soleil, est d'origine récente. Elle apparaît en effet au IIIème siècle avec l'empereur Héliogabale (218-222) qui introduisit le culte du dieu solaire d'Emèse, dont il était le grand prêtre et dont il prit le nom. Impopulaire à cause de ses excès, il fut assassiné avec sa mère. Avec le soutien temporaire des empereurs Aurélien,  Constantin et Julien, elle se développe pendant le IVème siècle et s'exprime pleinement avec Macrobe, écrivain latin païen contemporain de saint Augustin qui fut proconsul d'Afrique en 410 et grand chambellan du palais en 422 ! Dans l'œuvre de ce dernier, les Saturnales, tous les dieux se rapportent au soleil, aussi bien les dieux gréco-romains comme Apollon (ch 17), Mars et Mercure (ch 19), Saturne (ch 22) et Jupiter (ch 23) que les dieux orientaux comme Isis et Serapis (ch 20) ou Adonis, Attis, Osiris ou Horus (ch 21).

On pourrait donc légitimement affirmer que cette théologie solaire, loin d'être ancienne comme l'affirme la thèse habituelle, a été élaborée principalement pour contrer l'essor du christianisme. L'influence a  pu jouer dans l'autre sens.

  •  Les Juifs célébraient au 25 Kislev (mois correspondant à décembre mais de façon variable chaque année) la fête de la Hanouchah, commémorant la nouvelle dédicace du Temple par Judas Maccabée.

"Le 25ème jour du 9ème mois (l'année commençait en Nisan = avril), l'autel fut inauguré au chant des hymnes... C'était juste l'anniversaire du jour où les païens l'avaient profané... Judas Maccabée décida avec ses frères et la communauté d'Israël que cet anniversaire serait célébré chaque année (1Ma 4, 52.59).
C'est également une fête de la lumière car selon la tradition talmudique (traité Chab 21b ), la lampe du sanctuaire brula miraculeusement huit jours sans ajout d'huile alors que la réserve n'était suffisante que pour un jour. Aussi, durant une semaine entière, chaque jour, on allume une lumière d'un chandelier à 8 branches appelé pour cela « hanoukkia », une lampe le premier jour, deux lampes le deuxième jour et ainsi de suite. La huitième lampe s'appelle la lumière du "Messie attendu" et une neuvième lampe, appelée "la servante fidèle" se présente en général sur le côté. La mère de famille peut l'utiliser avant le coucher du soleil pour allumer les autres et éviter ainsi des actions inutiles.
 
Evidemment, pour les juifs, le soleil et la lune ne sont que deux luminaires créés par Dieu pour éclairer le monde.
 Ce symbolisme de la lumière est également présent dans le Nouveau Testament : Jésus n'est-il pas présenté comme "la Lumière pour éclairer les nations" par le vieillard Siméon (Lc 2,32) et comme  "la Lumière qui luit dans les ténèbres" en Jn 1,15. De plus, la liturgie chrétienne se réfère à la vie de personnages historiques comme Jean-Baptiste et Jésus et non à des célébrations mythologiques païennes.

  1.  25 mars (équinoxe de printemps) : Annonciation du Seigneur (conception et Incarnation)
  2. .24 juin (solstice d'été) : Naissance de Jean le Précurseur
  3.  ------- (équinoxe d'automne) : Conception de Jean le Précurseur
  4. . 25 décembre (solstice d'hiver) : Naissance du Seigneur


La naissance de Mithra, dieu solaire iranien, était célébrée  par le sacrifice d'un taureau. Mais il s'agit d'un culte initiatique, comprenant sept niveaux,  réservé à une petite élite exclusivement masculine qui se célébrait dans de nombreux sanctuaires fort exigus en forme de grottes, naturelles ou artificielles. La visibilité et la renommée de la religion mithraïque sont donc pour ces raisons moins importantes que ne l'affirment certaines théories qui en fort, à tort, LE concurrent immédiat du christianisme.

Le culte de Sol Invictus

  • L’empereur Aurélien réforma le culte de Sol Invictus en le plaçant aux premiers rangs des divinités païennes. C’est ainsi que les prêtres du soleil formèrent le nouveau collège des pontifes du soleil, de rang sénatorial. Cependant ils n’ont pas la préséance sur les autres pontifes et sur les quatorze membres connus, un seul porte le titre de pontife de Sol Invictus, les autres étant appelés simplement pontifes du Soleil.

 En 274, un an avant sa mort, l'empereur romain Aurélien fit du Soleil Invaincu le principal  protecteur divin de l'empire en inaugurant un nouveau temple solaire à Rome, qui en comptait déjà trois et en instituant de nouveaux jeux en l’honneur de Sol Invictus qui duraient plusieurs jours. Contrairement à une affirmation souvent répétée, la date précise en est inconnue et aucune source contemporaine de l’événement ne mentionne le 25 décembre. Il rendit ces fêtes obligatoires pour tous ses sujets, avec obligation de sacrifier à l'empereur. Les contrevenants encouraient des sanctions graves, spécialement les chrétiens.

  • Mais des études récentes (HIJMANS)  montrent que l'importance de ce culte a été exagérée, considéré comme unique religion de l’empire romain païen tardif,  Bien qu’il  fut également celui de l'empereur Probus mort en 276 et de l’empereur Constantin avant sa conversion au christianisme, il faut faire remarquons en effet que le successeur d'Aurélien, l'empereur Dioclétien qui régna vingt ans de 284 jusqu'à 305, année de son abdication, revint à la religion romaine traditionnelle en soutenant le culte de Jupiter et en rejetant violemment tous les cultes orientaux (christianisme, Mithra et Sol Invictus). La dernière mention sur des monnaies du culte de Sol Invictus date de 323.
  • La première mention du 25 décembre comme date de naissance du Christ figure dans un calendrier liturgique romain, daté de 354 et mentionnant des listes de jours de fête ainsi que des listes de martyr. La mention suivante, datée elle de 336, s'y trouve en première place : "VIII kal. Ian (= 8 jours avant les calendes de janvier) natus Christus in Bethleem Iudee". Ce document exceptionnel, perdu au XVIIème siècle mais dont nous possédons des copies, a été appelé philocalien en hommage à un artiste grec du nom de Philocalus, inventeur de caractères de grande qualité. Ce même calendrier mentionne également une fête du soleil et de la lune le 28 août, des jeux en l’honneur du Soleil (Ludi Solis) du 19 au 22 octobre et un anniversaire de l’Invictus (Natalis Invicti) le 25 décembre. Il peut s’agir du soleil mais aussi de Jupiter ou d’Hercule qui portent également le titre populaire d’Invictus.
  • En 363, dans son hymne au Soleil, l’empereur Julien l’Apostat mentionne une fête annuelle du Soleil immédiatement après les Saturnales (première mention assurée du 25 décembre) et des jeux en l’honneur du Soleil relativement récents, se déroulant tous les quatre ans mais à une autre date.
    La comparaison du  témoignage du calendrier philocalien et de Julien permet à S.HIJMANS d’avancer l’hypothèse que la dédicace par Aurélien du nouveau temple et la création des Ludi Solis auraient eue lieu du 19 au 22 octobre 274.

    La thèse traditionnelle sur l'empereur Constantin

    Celle-ci veut que l'empereur Constantin (301-337), ancien adepte du culte solaire - il s'était fait construire à Constantinople une statue le représentant sous les traits du soleil - aurait christianisé, après sa conversion, la fête de Sol Invictus en faisant coïncider la date de la naissance du Christ avec celle de la célébration païenne soit le 25 décembre.
    Mais plusieurs objections s'opposent à cette interprétation :
  •  en 336, date du calendrier philocalien cité ci-dessus, Constantin est physiquement absent de Rome.
  •  à Constantinople, à cette période, la date de Noël reste fixée au 6 janvier comme c'était la règle dans tout l'Orient romain. Ce n'est qu'en 379, sous l'empereur Théodose, que Noël sera célébré comme à Rome le 25 décembre. L'influence personnelle de Constantin est donc sérieusement remise en cause.
  •  tout indique une origine occidentale (Rome ou Afrique du Nord) à cette datation. Or, au début du IVème siècle, la fête de Sol Invictus, d'origine récente ou de Mithra, d’origine orientale et non traditionnelle n'a pas l'impact suffisant sur les esprits pour nécessiter une christianisation. Car, contrairement à une opinion répandue, on ne connaît pas de christianisation aussi rapide de rites ou de lieux de culte païens, l'Église manifestant dans ce domaine une grande prudence. Par exemple, Constantin n’a transformé aucun temple et a fait bâtir ses nouvelles églises en dehors du pomerium, la limite religieuse de l’ancienne Rome. La seule exception concerne des lieux privés, comme l’église du Latran.

Conclusion

 La christianisation de la fête païenne du soleil en Noël n'est  mentionnée par aucun auteur ancien, en particulier par l’empereur Julien, pourtant fort hostile au christianisme et connaissant bien le culte de Sol Invictus.

 Fondamentalement, le grand tort de cette théorie provenant de l'histoire comparée des religions est d'ignorer le symbolisme propre à la religion chrétienne, l'influence que celle-ci a subie de la part de la religion juive ainsi que les caractéristiques précises de la religion gréco-romaine et des éléments incontournables de l'histoire romaine. Car, comme la fête de Pâques prolonge celle de Pessah (sortie d'Égypte) et la fête de la Pentecôte celle de Chavouot (don de la Loi au Sinaï), pourquoi ne pas considérer la Hanouchah comme le prototype de la Noël chrétienne plutôt que de rechercher une influence païenne hypothétique.

Je ne peux que renvoyer à deux excellents articles

  1. La notice anglaise de Wikipedia sur Sol Invictus (et non la version française qui n’est absolument pas à jour)
  2. Celui de Dominique COLLIN, Origine et sens de la fête de Noël, publié sur Predication.org, le site belge des Pères Dominicains qui, au-delà de l'aspect historique de la question, met en évidence la signification sacramentelle de cette fête.

Cet article présente également une autre hypothèse, interne au christianisme et intitulée l'hypothèse du comput, créée par Louis DUCHESNE à la fin du 19ème siècle et défendue récemment par Thomas TALLEY dans Les origines de l'année liturgique, Éditions du Cerf, 1990 et reprise par le cardinal RATZINGER, devenu le pape Benoit XVI.

Selon cette théorie, d'après la symbolique des nombres en usage dans l'antiquité chrétienne, Jésus ne pouvait mourir que le jour de sa conception. Or comme le vendredi 25 mars était le jour traditionnel de la Passion, la date de sa naissance aurait été fixée neuf mois plus tard, soit le 25 décembre.

Auteur : Fernand LEMOINE  

Première rédaction : 20 décembre 2007
Dernière mise à jour : 23 décembre 2011
©  EBIOR,  bible@ebior.org 

Ouvrages de base

Cardinal RATZINGER, The spirit of liturgy, 2000
Stefan BENENS, Sonnenkult und KaiserTum von den Severen bis zu Constantin I, 2004
Steven HIJMANS, Sol Invictus, the winter solstice and the origins of Christmas, 2003