Mystère de l'Église, mystère d’Israël (I)

De Ebior
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AUTEURS : 

D'après un matériau initialement élaboré par l'Abbé Louis Derousseaux, professeur émérite de théologie de l'Université catholique de Lille, texte revu, refondu et mis à jour par Menahem Macina.

© L. Derousseaux et M. Macina, 2002

   

Scrutant le mystère de l'Église, le Concile rappelle le lien qui relie spirituellement le peuple du Nouveau Testament avec la lignée d’Abraham. (Vatican II, Nostra Aetate, § 4) Pendant des millénaires l'Église semble avoir oublié cette vérité première. Certes théologiens et exégètes savaient bien que Jésus s’enracinait dans le peuple d’Israël, mais il était entendu qu’après le Christ le peuple juif comme tel n’avait plus aucune signification, malgré sa permanence inexplicable. Ce n’est que tout récemment, sans doute sous l’influence de la "Shoah" (solution finale de la question juive par les nazis), que les chrétiens ont commencé à réfléchir sur ce thème et à assumer leur histoire. 

Vatican II a provoqué quelque chose d’irréversible, un "nouveau regard" sur Israël : cela n’a pas été sans drames, et des refus restent encore perceptibles. A preuve le fait que trop souvent, presque toujours, dans la "théologie des religions" le judaïsme est placé avec l’ensemble des religions non chrétiennes. Il est manifeste qu’on touche ici à un point très douloureux et que le marcionisme n’est pas tout à fait mort dans la conscience chrétienne. 

Pour comprendre ces résistances et ces sensibilités, il faut retracer brièvement l’histoire des mentalités (cet article). On pourra alors situer l’enseignement de Nostra Aetate (Article 2). Enfin nous essaierons de répondre à une question nouvellement posée : que signifie la permanence du peuple juif dans le dessein divin de salut ? (Article 3). 

Opinions chrétiennes et leçons de l'histoire 

Les positions courantes sur le sens de la permanence du peuple juif

 

  •  Théories

Il est vrai que la permanence du peuple juif au milieu des épreuves de l'histoire est difficilement explicable (cf. la réponse de Zimmermann au grand Frédéric) mais elle a trouvé bien vite des explications chez les auteurs chrétiens. Voir Mussner, p. 75s. 

1) Israël témoin : Interprétation la plus bienveillante sans doute; la plus répandue grâce à Augustin. On ne doit pas faire disparaître le peuple "déicide" car la Providence le garde comme témoin de notre vérité et de son iniquité (testem veritatis nostrae et iniquitatis suae ). Cette théorie se fonde d'ailleurs sur des conceptions théologiques erronées : 

2) Substitution : l'Église est l'Israël nouveau qui se substitue à l'Israël ancien qui n'a plus d'existence propre désormais, voué qu'il est à la malédiction et au rejet par Dieu. 

3) Intégration : Le vrai Israël est le reste converti, intégré à l'Eglise pagano-chrétienne. 

4) Typologie dépréciative : L'Israël ancien n'est que la "figure"  de la réalité du Christ-Église. 

5) Subsomption : Israël subsiste seulement comme absorbé(Aufhebung hégélienne), comme un cas ordinaire de communauté humaine sauvée. 

  •  Protestations chrétiennes tardives 

Ces théologies sont encore tout à fait courantes. Elles sont souvent plus dures dans le monde réformé où l'antithèse luthérienne Loi/Évangile règne. La réaction des théologiens chrétiens s'exprime seulement lors de la montée du nazisme : J.Maritain, dès 1937, dans Le Mystère d'Israël (réimprimé DDB en 1965) et, en un sens fort différent, Karl BARTH, KD II,2 § 34 sur l'élection de lacommunauté (en 1942) : Israël a toujours une place dans l’histoire du salut car il reste partenaire de l'Église jusqu’à la fin des temps. Mais il faut reconnaître que ces textes sont exceptionnels dans la production chrétienne. Il faut même avouer qu'après le concile, l'accusation de "déicide" continue à fonctionner, surtout en milieu orthodoxe, dans les déclarations d'Ignace III (patriarche. syrien-orthodoxe d'Antioche) et Cyrille VI (patriarche copte-orthodoxe d'Alexandrie) le 24.1.1965 (cf. LOVSKY, L'Antis., p. 134).

Histoire des mentalités depuis Constantin.

 a) Constantin en 313 fait du christianisme une religio licita 

Mais Théodose, par le décret de 380, fait du christianisme la religion impériale : le code prévoit une législation antijuive (aggravée par le code de Justinien). Le judaïsme devient une religion surveillée. Incident inquiétant de l'affaire de la synagogue de Callinique, en 388 : attitude incompréhensible d'Ambroise! (détails par exemple dans Hugo RAHNER, L'Église et l'État dans le christianisme primitif ("Chrétiens de tous les temps), Paris, Cerf [1964] pp. 105 ss) : les Juifs sont-ils des hommes sans droits ?

b) Naissance de l’antijudaïsme théologique

Il est présent dès Barnabé, Diognète, et se systématise chez Augustin et surtout Jean Chrysostome. Mais très peu d'antisémitisme : le converti juif est fêté. 

c) antijudaïsme populaire 

Il éclate dans les massacres de mai 1096 en Rhénanie, dans la reconquista espagnole. La mentalité populaire en Occident sera hantée désormais par les mythes antijuifs : meurtres rituels, etc. C'est dans l'Espagne maure et plus tard en Pologne seulement que les Juifs pourront vivre en paix. Ailleurs expulsions et pogromes sont constants. Et même en 1648-1649 les cosaques de Bogdan Chmielnicki massacrèrent en Ukraine des centaines de milliers de Juifs. 

 d) L'émancipation 

Après la catastrophe de Shabbataï Zewi  (1626-1676), le judaïsme avait failli disparaître; il devait être sauvé par le Hassidisme. Mais l'émancipation, après l'assimilation en Allemagne, allait être plus dangereuse encore. Émancipation politique aux USA, en 1776, en France en 1789-1791, et ensuite dans toute l'Europe. Grande place des Juifs dans les sociétés européennes; d'où jalousies. 

e) Naissance de l'antisémitisme moderne 

Au début, sans motivation théologique explicite, il est idéologique de Gobineau, nationaliste de Maurras, chrétien (!) de Drumont. Affaire Dreyfus et le rêve de l'État sioniste de Th. Herzl. Le nazisme et la Shoah. Sionisme et l'État d'Israël (14 mai 1948) : au début seuls les juifs non croyants étaient sionistes (à l’exception du rabbin Kook), mais à partir de la guerre de Kippur en 1973 la grande majorité des juifs orthodoxes voient dans l'État d’Israël un signe messianique. 

L’antisionisme devient vite antisémitisme dans le monde musulman.

vers la 2ème partie : le tournant de Nostra Aetate